Centre for Cooperative Research in Social Sciences
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Mythe et Identité

La construction narrative de soi
dans la tradition orale de communautés Vadar

Guy Poitevin

Un contexte de stratégie socio-culturelle

Cet essai est un compte rendu méthodologique qui plaide pour la pertinence théorique et pratique, de nos jours encore, de processus de réappropriation<1> culturelle de vieux mythes à valeurs identitaires transmis oralement, dantakatha<2>, fussent-ils largement tombés en désuétude dans la pratique culturelle de la communauté. L'argumentation repose sur les données d'un corpus de quarante deux mythes que nous avons recueillis ces dernières années au sein de communautés Vadar éparpillées au Maharashtra. Les Vadar sont par tradition des travailleurs de la pierre qu'ils détectent dans le sous-sol, extraient, cassent, débitent, taillent, sculptent, à la demande de patrons et de clients<3>. Les récits dont nous faisons état survivent enfouis dans la mémoire de quelques anciens de cette caste au statut inférieur et servile de shudra.

Les Vadar sont une des douze castes d'un collectif, gota (le terme marathi ici utilisé peut s'appliquer à des castes, des relations ou des parents considérés collectivement), qui s'identifie comme le "collectif de l'âne" ou "la famille de l'âne," gadav gota. Ces douze castes sont celles des Beldar, Ghisadi, Ghongadivale, Vadar, Kaikadi, Kanjarbhat, Kathevadi, Kolhati, Kumbhar, Parit, Telangi, Vaidu. La raison de cette consciente association dans un collectif de castes, jati samuha, est que toutes élèvent et utilisent des ânes comme moyen de transport, c'est-à-dire de travail et donc de subsistance. La similitude de leur rapport à l'âne leur fait entretenir des sentiments de relation fraternelle qui se marquent par des pratiques effectives d'entraide. Il s'agit d'une sorte de phratrie, bhauki, bhavband, bhavbandki.

Le corpus de mythes Vadar de tradition orale auquel nous nous référons ici est en cours de constitution dans le cadre d'une série de monographies portant en plus des Vadar sur cinq autres basses castes : Kolhati, Mang, Kanjarbhat, Parit et Vaidu. Plusieurs traits spécifiques caractérisent ce programme de nature ethnographique et expliquent le propos méthodologique de cet essai.

Les données ethnographiques sont recueillies par des jeunes qui appartiennent eux-mêmes à des communautés de statut inférieur dans la hiérarchie sociale. Sans qualification académique ni formation méthodologique formelle, ils s'identifient comme animateurs sociaux. Ils ont été formés à l'action sociale et culturelle dans des groupes d'action de base habitués à réfléchir leur action, et à l'analyse critique dans des ateliers de groupes d'auto-formation<4>. C'est naturellement cette expérience réfléchie d'acteur social<5> qui gère leur regard d'apprenti ethnologue<6>.

L'observation du devenir de basses castes et l'analyse critique de leur destin, tout autant que le travail d'écriture qui cherche à en rendre compte et à en fixer la mémoire, focalisent sur les figures de la conscience de soi, les formes d'expression et les idiomes qui articulent ces dernières, la capacité ou non d'assumer le passé en connaissance de cause, le statut donné à l'héritage des anciens dans la construction du présent et la recherche d'un avenir. C'est précisément en cherchant à recueillir les paroles et la mémoire des anciens sur le passé historique de la communauté Vadar que se révéla un héritage de récits d'origine, de tradition orale, à valeurs identitaires, mais de facture narrative et de langage symbolique. Dans ce cas particulièrement le témoignage direct est recueilli mot à mot.

La motivation de fond est d'appréhender de l'intérieur, c'est à dire dans leurs propres logiques, non seulement les systèmes de représentation et les structures sémantiques internes aux discours sur soi, mais aussi les perceptions que des individus, sujets humains, entretiennent collectivement sur leur origine, leur histoire, leur situation présente, en un mot une vision de soi. Cet univers cognitif singulier témoigne d'une dynamique imaginaire qui a, consciemment ou implicitement, sa façon particulière de construire, réellement et idéalement, un espace et un temps à soi. Cette dynamique s'est étalée non sans tâtonnements et retouches, amalgames et conflits, comme on le verra, sur plusieurs générations. Elle s'étire de nos jours tout autant tiraillée entre les héritages de la tradition, les chances du présent, une nouvelle conscience de soi, les injonctions de la culture dominante. Cette distension est particulièrement frappante dans le cas du patrimoine de récits mythiques. Le présent essai s'intéresse aux liens que dans ces récits la mémoire et l'imagination tissent entre le passé et le futur au service d'un projet de construction identitaire de soi.

La remémoration et l'articulation de ces traditions narratives par des membres de la communauté, lors de leur recueil, activent déjà de façon significative leur fonction d'identification collective et témoignent des tensions qui traversent celle-ci. La pratique "coopérative"<7> de ceux qui les recueillent vise précisément à en réactiver la portée pour en prolonger la validité dans le contexte d'aujourd'hui. Voici quelques points saillants des réflexions que suggère aux collecteurs, Datta Shinde (Chambar), Sanjay Jogdanda (Mang) et Suresh Kokate (Parit) leur expérience de recueil de récits mythiques.

Datta Shinde : Quand je vais de village en village pour étudier la communauté Vadar, les gens me rapportent des histoires, parlent de choses arrivées, se souviennent de chants et d'événements. Ils sont désireux de raconter ce qu'ils ont entendu, vu et souffert. Ils se remémorent des souvenirs conservés dans l'esprit. J'ai remarqué que les Vadar sont particulièrement heureux de se rappeler leurs mythes, katha. Une fois je leur en demandai la raison. Un vieillard me dit : "Aujourd'hui, notre communauté a une vie difficile; c'es la misère et la faim. Mais nos ancêtres vivaient à une époque de prospérité et d'abondance." Ils sont naturellement fiers de raconter l'histoire de ces anciens temps. Cela leur permet de se mesurer à leur passé. Ils revivent en imagination les exploits d'hier de ceux qu'ils vénèrent et se rappellent comme de glorieux ancêtres.

Le récit est un événement et un témoignage. Tous les auditeurs sont là pour témoigner que les sentiments exprimés par les mots du récit sont bien les leurs. Il leur arrive même de mentionner avec à propos les contextes locaux, sociaux des récits, et de confirmer que l'histoire est vraiment authentique.

Quand le narrateur commence à prendre le style narratif, il se met à parler avec emphase et à voix haute. On réalise alors à quel point les récits entretiennent chez les auditeurs la puissance de l'imaginaire. Ils exposent et soutiennent le courage de la communauté. Sous la forme d'une histoire, ils parlent tous des réussites, des échecs et du progrès de cette dernière.

Quand les locuteurs Vadar parlent de leur communauté, ils tirent d'eux-mêmes ce qu'ils disent. Ils n'empruntent leurs phrases de personne d'autre. Ils y mettent tout leur coeur. Cela rend les histoires vivantes et explique qu'elles continuent d'exister.

Bien qu'ils puissent sembler n'avoir aucun rapport avec le contexte d'aujourd'hui, les récits mythiques restent pourtant un moyen efficace pour aider les Vadar à envisager l'avenir. Les récits peuvent sembler vagues et contradictoires. En réalité, leur contenu indique des formes et des processus de communication qui fondent et construisent la communauté. Les récits, de plus, offrent à celle-ci les moyens de déployer des signes symboliques de son identité et des valeurs traditionnelles qui marquent son style de vie. Par exemple, un courant de transactions financières fonctionnne chez les Vadar sur la base de la parole donnée et reçue sans faute. Le mot parlé est d'une garantie absolue et justifie la confiance. Pas besoin de document écrit et légalement authentifié. Il en est de même des mots de leurs récits. Ils sont conservés et agissent comme fondation symbolique du groupe. Ils établissent la communication à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté.

Certains de mes amis professeurs me demandent si j'ai envie de rester accroché aux vieilles traditions en récueillant ces légendes. Je leur réponds avec de simples exemples pour leur montrer que la personne qui me raconte une histoire nous dit, par le moyen du mythe, "Qui je suis, comment était ma communauté". Cela implique que nous examinions dans le détail les souvenirs des gens ordinaires. Par exemple, des récits donnent au travail un statut de valeur, ils sanctionnent les occupations traditionnelles de la communauté obtenues tantôt comme une faveur, tantôt comme une malédiction. Les mythes rendent compte des motivations. Ils relient des lignées aux dieux et aux rois comme leurs descendants. Les Vadar comme d'autres, utilisent les mythes comme moyens pour nous dire : "Nous sommes supérieurs aux autres", ou "Comment la société a besoin de nous." Les mythes traitent des systèmes d'alliance et des rapports des sexes. Le récit des légendes est un événement qui réunit les gens, les fait parler et les met en rapport les uns avec les autres. C'est que ces histoires sont un capital d'information accumulé et préservé. C'est le moyen pour les anciens de nous dire que "Pour nous, Vadar, tirer le char du dieu à Pandharpur, c'est un droit traditionnel," "Pour nous, Mang, mendier les jours de nouvelle lune, c'est un droit traditionnel." On peut arriver à comprendre la place et le statut de ces communautés dans la société à partir de leurs professions et de leur coutumes. Les mythes nous aident beaucoup à comprendre le système de relations sociales qui tisse la société.

Sanjay Jogdanda : Il faut reconnaitre qu'au début, les gens ne sont pas toujours disposés à faire état de leur tradition orale. Ils ne sont pas prêts, d'eux-mêmes, à parler spontanément. Il y a plusieurs raisons à cela. La principale est qu'on les dupe et les exploite quand ils donnent de l'information. La société n'entretient pas avec eux une communication sur pied d'égalité. Une telle communication ne les trouve donc pas spontanément enthousiastes. Ils gardent le silence pour se protéger. Ils désirent garder leurs connaissances pour eux au lieu de la donner à des voleurs. Au début, quand je posais des questions à des gens de ma communauté Mang pour obtenir des informations, ils considéraient cela bizarre. Ils évitaient de dire quoi que ce soit. Dans plusieurs villages, les gens me demandaient : "Qu'est-ce que tu veux faire avec ça?" Ils me disaient que beaucoup étaient passé avant moi et ils ajoutaient : "Toi, un jeune, tu es instruit, et tu viens nous demander ces vieilleries pour les recueillir. Oh, frère! Vous les jeunes, vous nous répétez sans cesse qu'il faut oublier les vieilles choses. Et tu viens maintenant nous les redemander?"

Suresh Kokate : Quand je suis allé voir quelqu'un de ma parenté pour recueillir des informations, il pensa d'abord que j'étais fou. Il m'a dit : "Des gens vont sur la lune de nos jours. Qui te demandes de déterrer ces vieux cadavres?" Les jeunes gens de ma communauté s'opposèrent à moi au début et me demandèrent : 'Que vas-tu faire de cette information au sujet de vagabonds qui ne sont plus de notre temps?" Je leur parlai de s'organiser et d'aller collectivement se plaindre à l'administration, d'organiser une manifestation concernant les problèmes dont ils me parlaient. Dans certains villages, le recueil de mythes servit même de prétexte pour réunir les jeunes. Je leur dis : "Ne sommes-nous pas exploités? J'écris avec ça seulement en vue." Les jeunes commencèrentr alors à venir vers moi, d'eux-mêmes.

Une double question d'ordre épistémologique se présente quand on se met à l'étude des récits recueillis : d'une part, celle de la méthode et du statut théorique de la réappropriation culturelle d'un discours construit dans un temps qualitativement autre; cette question d'ordre cognitif concerne un procès de confrontation interculturelle amené par un chevauchement de contextes; d'autre part, celle de la forme et du véhicule pratique d'articulation d'un discours interprétatif adressé à nouveaux frais aux mêmes auditoires ou entrepris par eux; cette question est d'ordre communicationnel. Cette double question détermine la visée pratique de stratégie d'action socio-culturelle qui qualifie l'étude. Il importe d'en définir théoriquement le statut herméneutique avant d'en montrer la mise en oeuvre.

Une théorie de la réappropriation : Paul Ricoeur

Une première clarification concerne des questions élémentaires relatives aux visées de pratiques cuturelles qui se donnent pour objectif de "valoriser" un "capital" de traditions.

Certains groupes d'action sociale en Inde s'estiment heureux de pouvoir utiliser à des fins de transmission plus efficace de leurs messages de développement social ou matériel des formes de communication 'indigènes' ainsi que leur contenu traditionnel.<8> C'est leur faire jouer un role que certains critiquent voire considérent indû ou illusoire, souvent à justes titres. Notre conviction est aussi qu'on ne peut user à volonté, sans risques et abus, d'objets culturels traditionnels sous prétexte qu'ils sont 'populaires' pour faire admettre plus facilement des messages modernes. Au préalable s'impose la nécessité d'un respect du sémantisme propre à ces traditions. L'erreur est de les réduire à un role de simple outil de communication d'efficacité quasi mécanique sans se donner au préalable la peine d'une compréhension scientifique et d'une interprétation fondée, c'est-à-dire méthodologiquement justifiée. Il faut être capable de tirer parti de la rationalité propre de la tradition utilisée sans la violenter par anachronisme ni simplement la répéter par glorification passéiste. Une tradition ne saurait être utilisée comme prétexte; elle mérite d'être d'abord pleinement respectée c'est-à-dire comprise pour elle-même, pour que sa réappropriation dans un autre contexte et d'autres temps se réalise légitimement c'est-à-dire en continuité avec l'intentionnalité qui la portait originairement. Il nous faut être honnête vis à vis du passé.

Il y a plus grave encore, quant au présent. Sans travail de réévaluation sémantique ayant de valides titres de créance herméneutique, la réutilisation d'objets culturels 'indigènes' ou 'ethniques' tombe nécessairement dans une perversion ou l'autre : manipulation fondamentaliste au service de rapports de force, usage commercial par intérêt économique, esthétisation par manque de perspective historique, rejet moderniste par cécité anthropologique, utilisation académique à des fins de pure construction théorique.

La raison de ces détournements est que la différence de contexte et la distance dans le temps nous interdisent à jamais toute consonance spontanée et la lecture directe, naïve. Un moyen terme méthodique est requis pour nous assurer des traductions fiables du code d'expression mythique dans nos codes conceptuels de pensée. Nous ne pouvons plus être de plain-pied, un dialogue face à face ne peut plus s'établir. Ne rêvons point de connivence possible par affinité symbolique ni de déchiffrement intuitif par communion. Contre les détournements s'impose le détour d'un traitement scientifique, c'est-à-dire des méthodes et des procédés d'analyse.

Si le code d'échange mythique nous échappe et ne pouvons plus d'emblée saisir l'intention de ses récits, c'est paradoxalement sa forme stéréotypée qui en préserve les discours et nous les transmet sous forme de textes immuables. Les narrateurs n'en changent pas les mots à volonté ni ne les réinventent. Ils ne s'en considèrent point les auteurs mais les héritiers et les gardiens. Si rien n'en peut être soustrait ni volontairement modifié, c'est qu'ils forment une totalité dont le sens est dans la loi qui la régit. Ils n'ont jamais d'ailleurs été des prises de parole individuelles mais des discours collectifs dans lesquels le groupe se reconnaissait et s'en constituait l'auteur par cette reconnaissance même. Non pas qu'ils projetaient leurs états d'âme: ces mythes sont dépourvus de valeur psychologique, affective ou morale. Un mythe n'est point conte attrayant, fable édifiante ou légende didactique. Il articule une vision du monde. Mais celle-ci nous reste scellée, car son langage n'est plus le nôtre. Il nous faut construire un chemin d'accès à son intelligence<9>.

Ce chemin est par nécessité fonction d'un état de fait incontournable : les mythes dont nous parlons n'existent plus que comme texte, fût-il oral<10> (Ricoeur, 1971: 48-49). Nous entendons par là deux traits essentiels. Le premier est qu'ils ont perdu pour les communautés qui en sont les héritières le statut de parole intentionnellement adressée par un locuteur à des interlocuteurs dans une situation et un contexte donnés et partagés. Le deuxième est que ces auditeurs potentiels sont eux-mêmes dans leur ensemble de moins en moins capables de l'entendre.

Nous avons affaire à des récits, katha, qui ne sont plus, sinon exceptionnellement et partiellement, des énoncés échangés entre des sujets en dialogue dans le présent d'un acte de dire. Certes ce sont des récits qui nous arrivent portés par des représentants d'une tradition orale et non par l'écriture, mais les derniers locuteurs d'une tradition en désuétude véhiculent des récits qui ne sont plus reçus comme une parole vive et signifiante par leur entourage à des moments cérémoniels ou rituels fondateurs de la communauté. Le texte nous apporte la visée d'un discours qui ne peut plus exister parce que la signification qu'il recèle tend trop à rester enfouie sous une lettre morte, ou n'est plus compréhensible sans malentendu, faux sens voire contre-sens. Le dit a pris la place du dire de la parole, et pour comble de malheur, ses énoncés ont tellement perdu leur référence au monde et aux situations de ceux qui en étaient les interlocuteurs (Ricoeur, 1986: 137-142) que nous avons des textes qui souvent ne "veulent plus rien dire" (Ibid., 184-190) ou dont on ne peut certifier que ce qu'on en croit comprendre est ce qu'ils voulaient dire. Le contexte auquel ils se référaient est devenu tellement étranger aux communautés mêmes qui les portent encore et en héritent que l'intention originaire de l'auteur initial leur -- et nous -- échappe; le texte est en quelque sorte "en l'air", hors monde ou sans monde, "dans ce suspens où la référence est différée". Le rapport référentiel initial de l'événement du discours au monde est bouleversé, intercepté par changement de contexte (Ibid., 140-141). Nous ne rencontrons plus que "le monde du texte" seul (Thompson, 1981: 139-144). L'intention du texte et celle du narrateur ne coïncident plus<11>.

C'est ici que la réappropriation apparait comme un travail de recontextualisation du sens interne au texte par un locuteur ou interlocuteur d'un autre temps -- son nouvel auteur -- dont l'intention fait exploser ou étend le sens originaire du texte et de son auteur en lui donnant une signification suggérée par référence à un nouveau contexte. Cette extension est un procès d'interprétation, une relecture à nouveaux frais du récit. Selon C. S. Peirce, le rapport de l'interprétant au signe, qui se greffe sur celui du signe à un objet, "est un rapport ouvert, en ce sens qu'il a toujours un autre interprétant susceptible de médiatiser le premier rapport." "L'interprétant évoqué dans l'esprit par le signe ne saurait être le résultat d'une déduction pure et simple qui extrairait du signe quelque chose qui y serait déjà contenu...L'interprétant est un commentaire, une définition, une glose sur le signe dans son rapport à l'objet. Il est lui-même expression symbolique." Seule une communauté d'expérience, fût-elle imparfaite, entre le locuteur et le récepteur rend cela possible. (Ricoeur, 1986: 157)

La substitution aujourd'hui du texte oral à la parole du discours d'hier affranchit le texte du récit des déterminations référentielles<12> du discours et en met le sens à notre libre disposition pour un nouvel usage de communication symbolique. Il est "une effectuation comparable à la parole, parallèle à la parole, une effectuation qui en tient lieu et en quelque sorte l'intercepte." Le rapport du récit comme fait de langage au monde et aux nouvelles instances subjectives concernées est profondément bouleversé (Ricoeur, 1986: 139). Celles-ci réinvestissent sémantiquement le texte en fonction de leur propre contexte et de leur monde à elles. Le texte acquiert de nouvelles valeurs référentielles. L'interprétation est l'opération qui effectue la nouvelle référence; elle met fin au suspens dans lequel se trouvait le texte. Elle réactive le texte, lui redonne un statut comparable à celui du discours; elle en réanime les lettres mortes en parole actuelle; elle réalise les possibilités sémantiques du texte. La décontextualisation qui faisait du récit un verbe inerte condamné par aliénation à la non-signification, lui offre au contraire des chances illimitées d'impulsions sémantiques inter-contextuelles et inter-culturelles. La distance culturelle n'est pas supprimée mais dépassée. Les phrases du texte redeviennent signifiantes et le récit mythique peut à nouveau vouloir dire quelque chose à un auditoire d'un autre temps.

La réactivation sémantique du texte apparaît même comme un procès d'autant plus naturel sinon inévitable que les mythes sont des constructions symboliques qui traitent de vérités concernant l'homme et son monde en général. Leur réalité référentielle n'est pas du même niveau que celle du langage ordinaire. Pour n'être plus que texte, le récit mythique n'en est pas réduit à manquer de référence ni de visée. Dans la terminologie de P. Ricoeur (1986: 188-189), "Ce serait confondre référence et monstration, monde et situation." Le signifiant du texte n'a jamais rompu avec un signifié, il n'a jamais pu se délester de sa visée originaire<13>. Le récit ne peut cesser de parler du monde, d'une manière ou d'une autre. De la même manière que le texte dissocie sa signification de l'intention mentale de l'auteur, " il libère sa référence des limites de la référence ostensive", déictique, descriptive, circonstancielle. Le référent du mythe comme texte est "non plus l'Umwelt des références ostensives du dialogue, mais le Welt projeté par les références non ostensives." Car "Seul l'homme a un monde et pas seulement une situation."

Comprendre un texte, c'est en même temps élucider notre propre situation ou, si l'on veut, interpoler parmi les prédicats de notre situation toutes les significations qui font de notre Umwelt un Welt. C'est cet élargissement de l'Umwelt aux dimensions du Welt qui nous permet de parler des références ouvertes par le texte; il serait même meilleur de dire que ces références ouvrent le monde. (Ibid., 189)

Libéré de son auteur et des limitations de situations dialogales, le texte nous ouvre de nouvelles dimensions de notre être-au-monde. Au lieu de la réalité d'un contexte singulier pour référence, le procès d'interprétation inaugure ses propres dimensions référentielles et le restitue à la communication vivante. Libéré des limites du face à face avec des interlocuteurs particuliers, le texte s'offre à l'appropriation par tous. L'intelligence du texte culmine dans l'intelligence de soi.

Par appropriation, j'entends ceci, que l'interprétation d'un texte s'achève dans l'interprétation de soi d'un sujet qui désormais se comprend mieux, se comprend autrement, ou même commence de se comprendre... D'un côté, la compréhension de soi passe par le détour de la compréhension des signes de culture dans lesquels le soi se documente et se forme; de l'autre, la compréhension du texte n'est pas à elle-même sa fin, elle médiatise le rapport à soi d'un sujet qui ne trouve pas dans le court-circuit de la réflexion immédiate le sens de sa propre vie. Ainsi faut-il dire, avec une égale force, que la réflexion n'est rien sans la médiation des signes et des oeuvres, et que l'explication n'est rien si elle ne s'incorpore à titre d'intermédiaire dans le procés de la compréhension de soi; bref, dans la réflexion herméneutique – ou dans l'herméneutique réflexive – la constitution de soi et celle du sens sont contemporaines. (Ibid., 152).

Concluons en nous référant à des catégories sémiotiques qui nous serviront, puisqu'aussi bien la lecture du texte lui redonne un statut de parole vive et signifiante. Le statut herméneutique de la stratégie d'action culturelle qui nous porte à reconstruire la constitution de soi que les Vadar ont articulée dans leurs mythes repose sur la relation triangulaire qui se constitue au niveau du texte mythique analogiquement au modèle objet-signe-interprétant défini par C. S. Peirce (1978: 120-191) :

L'objet, c'est le texte lui-même; le signe, c'est la sémantique profonde dégagée par l'analyse structurale; et la série des interprétants, c'est la chaîne des interprétations produites par la communauté interprétante et incorporée à la dynamique du texte, comme le travail du sens sur lui-même. Dans cette chaîne, les premiers interprétants servent de tradition pour les derniers interprétants qui sont l'interprétation proprement dite." (Ricoeur; 1986: 158).

Nous retiendrons aussi du modèle de Peirce des traits particulièrement pertinents relatifs à la série des interprétants ou chaîne des interprétations, c'est-à-dire l'ensemble des processus culturels de l'ordre de la signification que le texte (comme objet et signe) réactive. Si selon Peirce (1978:129-130) "l'étude des interprétants ou effets signifiés propres des signes" permet de résoudre le problème de la "signification" d'un concept intellectuel, c'est que les interprétants comprennent trois classes générales : le sentiment ou "interprétant affectif"; l'effort ou "interprétant énergétique", qui peut être musculaire mais qui "s'exerce beaucoup plus fréquemment sur le monde intérieur, il est un effort mental"; et l'effet mental ou "interprétant logique", qui peut bien sûr être la signification d'un concept général, une pensée, mais aussi "un changement d'habitude", entendant par là "une modification des tendances à l'action d'une personne."

Une pratique de l'interprétation

Voici un récit<14> du corpus Vadar dont l'intention d'affirmation identitaire nous semble des plus simples et explicites. Il introduit magistralement au contenu des autres récits qui s'en laissera d'autant plus facilement appréhender. Nous le présentons surtout à titre d'exemple d'une pratique d'interprétation, qui commence par une lecture analytique pour déboucher sur une autre forme de pratique dialogante, laquelle s'adresse elle-même à un auditoire qu'elle veut mettre en dialogue de réinterprétation.

Vdr-10 Proclamation de l'excellence Vadar

Vdr-10 Texte

Le roi Sasharavad avait une fille. Elle était si belle qu'on n'avait besoin d'aucune lampe ou chandelle dans le palais. Son éclat était semblable à celui du soleil. Le roi se souciait : dans quelles mains allait-il remettre une fille d'une blancheur aussi resplendissante. Mais voici ce que fit la fille : "Je passerai la guirlande au cou de quiconque s'avérera le meilleur dans le monde entier." On en fit l'annonce chez les dieux et sur la terre.

Les gens du ciel et de la terre se présentèrent dans la salle d'audience du roi. Le dieu Feu, Agni, arriva le premier. Le ministre du roi découvrit la déficience du dieu Agni. L'eau met fin au Feu. Vayu, le dieu Vent se présenta ensuite. Un homme du commun peut éliminer le dieu Vent en l'avalant. Vint ensuite Megharaj, le roi Nuage. Une simple brise peut disperser un nuage. Tous les dieux se présentèrent ainsi mais aucun d'eux ne put être déclaré le meilleur. Finalement vint Ralold, le dieu Roc. Ni le Feu, ni le Vent, ni la Pluie, absolument personne ne peut déplacer un roc. Ce dernier reste immortel à sa place. La princesse résolut de passer la guirlande au cou du dieu Ralold.

Au même moment, de parmi les gens de la terre, un Vadar entra dans la salle du trône. lI dit : "Le Roc n'est pas immortel. Où qu'il puisse se tenir, un Vadar peut à coup sûr l'en déloger." Finalement, le Vadar fut déclaré supérieur à tous les dieux. La princesse passa la guirlande au cou du Vadar, et s'en fut vivre heureuse dans la maison du Vadar. Le Vadar fut déclaré le meilleur dans tous les mondes. Le Vadar obtint du dieu Soleil, Surya, sept vies et des jachères sur le territoire de sept villages.

Une connaissance du texte "tel qu'en lui-même" s'impose avant qu'on puisse en envisager toute forme de reprise dialogante que ce soit. La relecture du texte aujourd'hui, pour être légitime, ne peut être que le résultat de deux attitudes. La première prolonge le suspens du rapport référentiel au monde et au sujet parlant, elle reste "dans le lieu du texte, lieu qui est un non-lieu", elle l'explique par ses rapports internes, par sa structure (Ricoeur, 1986: 145-151).

Éléments d'analyse interne: les sens du texte

On distinguera deux séquences dans la construction du récit, comme les deux actes d'un scénario narratif, et dans chaque séquence, les sémantèmes et les structures sémantiques, puis finalement les procès de production de sens<15> avec leurs "effets signifiés".

La première séquence se construit avec les sémantèmes suivants :

Le récit compose cette séquence sur la base structurelle de paires d'oppositions binaires :

Le procès est celui de l'élimination par disqualification des trois premiers prétendants de droit : le récit déploie une action dont le résultat est un rejet des trois premiers dieux dont il 'réalise' ou effectue l'incompétence. C'est le procès frontal ou direct de cette séquence. Ce procès d'élimination s'effectue par annihilation réciproque des trois premiers actants en tant qu'ils sont précisément des forces de la terre, des éléments naturels.

En cela le procès indirectement lève l'ambivalence d'attributs cosmologiques opposés qui caractérise les prétendus dieux. Ceux-ci sont ramenés à n'être que feu, vent, nuage, des réalités de la terre, et comme tels soumis à la destruction par le jeu de rapports naturels. Les trois premiers dieux sont ainsi aisément dépouillés de leurs faux attributs divins.

Dans un cas comme dans l'autre, la dynamique des deux procès de la première séquence opère selon une logique de l'inversion : le prétendu droit initial à l'excellence absolue réclamé par les prétendants, apparemment évident au départ, est dénoncé comme faux. Il est déclaré irrecevable dans un jugement officiel dont le roi a l'initiative et qu'il sanctionne de l'autorité de sa fonction. Ce qui est rejeté dans le refus d'excellence absolue, selon le test imposé par la princesse, est tout à la fois le droit de la posséder en s'en montrant l'égal, et la reconnaissance d'un état de supériorité divine.

Seul le quatrième prétendant, le dieu-Roc, échappe au procès d'annihilation par disqualification naturelle pour la raison qu'aucun autre élément terrestre n'est capable de l'éliminer. C'est à celà qu'il doit son immortalité et son excellence, et mérite d'épouser la princesse.

La deuxième séquence commence subitement, "au même moment", par un renversement de situation : l'entrée de quelqu'un qui vient de parmi les gens de la terre.

Les sémantèmes de cette section sont les suivants :

Les paires d'oppositions signifiantes sont :

Un premier procès à double face est anthropologique. C'est celui d'un humain, un travailleur manuel, annihilant un faux dieu qui n'est que nature divinisée. Ce que les forces de la nature n'avaient pu faire, un homme de condition servile, un travailleur, le fait. L'excellence du Vadar proclame la supériorité de la force laborieuse humaine, de la culture, sur la nature. Cela ne rend pas seulement l'homme supérieur à tous les dieux, cela les supprime, et seul reste l'empire de l'homme sur terre. La dynamique du récit prolonge et achève ici celle de la première séquence. Le Vadar construit l'excellence de son identité sur la base de sa compétence traditionnelle de travailleur de la pierre.

Un autre procès est plus socio-politique. En acquérant la princesse, le Vadar s'approche du roi, il s'allie au kshatriya, il se hausse un peu à la hauteur de ce qui seul compte sur terre, le pouvoir et les biens, prédicats de l'ordre royal des kshatriya. C'est aussi le dieu Surya, ascendance solaire<16> des kshatriya, qui finalement assure au Vadar ces biens qui en feront la force et lui reconnaitront et garantiront un statut : la vie à volonté et des champs avec pierre à profusion.

Le souci du récit, c'est le statut du Vadar, travailleur de la pierre, parmi tous les êtres dans les deux mondes. Le thème ou l'intention du texte est de faire de l'occupation même du Vadar l'atout de son excellence. La dynamique du récit réussit à merveille à transformer une conscience collective de force et de compétence comme travailleur de la pierre en argument d'une revendication de suprématie totale. Celle-ci n'est pas par ailleurs sans implications sérieuses d'ordre anthropologique (nous y reviendrons en finale avec Vdr-24). Mais la logique explicite des opérations du récit est ici d'un autre ordre : il s'agit de construire une image sociale de soi qui en impose à tous, et d'obtenir comme "interprétant ou effet signifié" du discours que la supériorité du Vadar soit démontrée, proclamée et reconnue dans tous les mondes.

Le récit n'est pas l'histoire d'un roi qui cherche à marier sa fille mais un exercice de construction d'identité propre à jamais irréfutable. Les Vadar s'appuient astucieusement à ces fins sur des sémantèmes traditionnels kshatriya (le roi et son conseil, la princesse et son svayamvar, la concession de terre et de bénéfices par l'éponyme même de l'instance royale, Surya). Ceci donne au récit une structure ternaire et non pas binaire. Les sémantèmes kshatriya ne sont que moyens termes, des actants mis en scène à titre de pivots du récit, leur fonction étant de valider la véracité des énoncés du récit.

Le texte se fonde lui-même comme parole de vérité : il est une auto-proclamation de valeur apodictique. On en saisira la force du génie inventif en fait de conscience de soi, et la nouveauté conceptuelle en fait de production d'un savoir identitaire, en le comparant à Vdr-41.

Vdr-41 Texte

Un Vadar cassait des pierres dans la forêt. "Est-ce là une vie, se lamentait-il en se cognant la tête au rocher." Le dieu Indra vint a passer. Voyant la scène, il s'enquit auprès du Vadar. Le Vadar lui dit : "C'est quoi, la vie qu'on mène! Casser des pierres, rien d'autre! Fais-moi roi d'un royaume!"

Indra fit le Vadar roi d'un royaume. Une année, la famine sévit dans le royaume. L'année passa, puis une deuxième, mais la sècheresse n'en finissait pas. Les gens mouraient faute d'eau. Le Vadar recommença à se cogner la tête au rocher. Le Vadar vint dire à Indra : "Moi un si grand roi! Pourtant un roi nuage tout ordinaire, Megharaj, et voilà les gens dans mon royaume qui meurent par manque d'eau." Le dieu Indra fit du Vadar un roi nuage, Megharaj.

Le roi Megharaj répand de l'eau de tous côtés à profusion. Voici une haute montagne. Le roi Megharaj ne cesse d'y jeter dessus des trombes l'eau. Mais la montagne n'en a cure. Megharaj apelle à nouveau Indra et lui dit : "Voici des jours que j'envoie des torrents d'eau sur la montagne mais ca ne lui fait rien." Le dieu Indra fait du Vadar un roi montagne, Parvataraja.

Soleil, vent, pluie, rien n'affecte Parvataraja. Un jour, un Vadar passe dans les parages et se met à fendre la montagne avec sa pioche. Parvataraja appelle Indra et lui dit : "Moi, ce si grand roi Parvataraja ! et voila qu'un Vadar m'anéantit."

Le dieu Indra fait à nouveau de Parvataraja, un Vada. Le Vadar reste un Vadar.

Le récit vint à la mémoire du narrateur en réponse à des questions sur la situation présente des Vadar et leurs évolution dans la société contemporaine. Le narrateur<17>. le transmit avec l'intention de montrer comment les Vadar se considèrent à juste titre des êtres supérieurs aux autres dans tous les mondes -- l'intention du texte --, mais qu'aussi un Vadar en restant tel, ne progresse point. L'intention du narrateur fait de son récit un discours de signification ambigüe.

Recontextualisation, interprétation dramatique

La deuxième attitude consiste à réactiver le pouvoir du mythe dans une situation particulière. On ne peut que rendre compte succinctement de la mise en scène<18> qui, sur la base des analyses précédentes, réactiva le texte et en fit un discours à l'adresse de nouveaux interlocuteurs, tout d'abord un groupe d'acteurs représentant des travailleurs Vadar d'aujourd'hui, puis un auditoire dialogant ensuite avec les acteurs aprés la performance. Le dialogue dramatique est une des formes de mise en oeuvre des plus capables de faire exploser le sens du texte dans une série indéfinie de reprises interprétatives extrayant de nouvelles significations d'un récit redevenu parole vive par recontextualisation et restitution à la communication vivante. Il est le plus à même de susciter des interlocuteurs et de les mettre créativement en scène c'est-à-dire d'en faire de nouveaux acteurs en les attelant au travail du sens sur lui-même.

La tentative pourrait concrétiser ce que Ricoeur définit comme l'acte d'interpréter, qui est de "prendre le chemin de pensée ouvert par le texte, se mettre en route vers l'orient du texte;" non pas une opération subjective comme acte sur le texte, mais une opération objective qui pourrait être l'acte du texte, s'accomplissant dans un discours tenu entre des locuteurs concernés dans une situation nouvelle. La mise en oeuvre dramatique n'est toutefois qu'une façon ou une étape parmi d'autres de restitution du récit à un procès de communication dialogique sans fin "où le jeu des questions et des réponses permet de vérifier l'interprétation en situation au fur et à mesure de son déroulement." (Ricoeur, 1986: 165). La transmission redevient mouvement d'une tradition vivante parce que la narration du récit en refait le discours de quelqu'un à quelqu'un.

Voici l'essentiel du scénario avec les principales articulations logiques er les "effets signifiés". Ces "interprétants" sont clairs. On en reconnaitra vite les décrochages significatifs par rapport au sens interne du texte. D'autres effets de sens sont possibles. Le scénario dramatique est lui-même de nature à suggérer d'autres questions et ouvrir de nouveaux aperçus.Le lecteur les repérera lui-même. Notre propos n'est ici que méthodologique et pratique.

Scénario Résumé

Scène 1

Deux familles Vadar -- deux frères, leurs épouses et leur aïeul -- travaillent au bord d'une route moderne, pour laquelle ils cassent des pierres. L'aïeul les invite à poser leurs outils et à s'asseoir sous l'arbre pour la pause. L'aîné, Yankoba, s'adresse à son père :

"Durga baba, nos ancêtres, autrefois, ils faisaient le même travail? Ils avaient la même vie? Il avaient la peau aussi noire?

L'aïeul commence le récit puis s'arrête. Tous en suivent la projection dramatique.

Scène 2

Le roi s'entretient avec son Ministre de son souci, puis avec la princesse elle-même, qui aussitôt pose sa condition. Le roi l'accepte. Il envoie le clown du palais l'annoncer sur terre et au ciel et inviter les prétendants à se présenter.

Scène 3

La famille Vadar au repos sous l'arbre commente la scène avec surprise :

"Durga baba, demande Bayada, à cette époque, réellement, les femmes décidaient elles-mêmes du genre de mari qu'elles voulaient?

Les hommes protestent : pourquoi faire l'éloge de la princesse? Elle était simplement arrogante en parlant ainsi à son père, dit l'un d'eux. "Heureusement que de nos jours nos filles nous obéissent, renchérit l'autre fils. Maintenant, il y a de la discipline." Les deux brues au contraire comparent avec la pratique actuelle où on "lie une fille à n'importe qui, quel qu'il soit, pauvre ou riche. Et la pauvre fille doit bien passer toute sa vie avec son homme. Lequel l'abandonne vite s'il la trouve trop noire de peau, pour se remarier, la laissant à sa solitude toute la vie."

"Vous, les filles, pourquoi vous fâcher? dit le beau-père. Telle est l'histoire de notre communauté. Je ne vous raconte pas des choses de ma fantaisie. Une fille peut aussi avoir ses préférences. Elle peut aussi décider pour elle-même. Que chacun en pense ce qu'il veut.

Le grand-père invite alors sa famille à écouter la suite de son récit : les trente trois crores de dieux et des princes arrivent de tous les pays du monde. Chacun va entreprendre de prouver son excellence.

Scène 4

Les trois premiers dieux se présentent devant le roi, chacun prétendant à une puissance absolue avec des airs d'autosuffisance grandiloquente. Il sont éliminés. Le dieu Rocher va l'emporter. Le roi demande un moment de reflexion avant de se prononder définitivement. Le dieu Rocher jouit déjà de son triomphe assuré.

Scène 5

Les travailleurs Vadar commentent la scène dont l'issue est acquise, semble-t-il. Mais le fils aîné questionne son père d'un air étonné : "Durga baba, vous avez dit que cette histoire parlait de notre communauté. Ca n'en a pas l'air?" Il fait observer aux femmes : "Bayada, il n'y a que des dieux, là-bas, personne de chez nous, de la terre. Comment le roi peut-il déjà prendre une décision? Mais qui pourrait bien y aller de chez nous?"

On entend le clown qui parcourt la terre et renouvelle son annonce, se disant envoyé de nouveau par le roi pour que des candidats se présentent aussi de la terre d'où personne n'en encore venu. Durga fait remarquer que selon son histoire, un travailleurs Vadar entendit l'annonce et se présenta en tenue de travail dans la salle d'audience. "Un Vadar dans la salle du trône?" s'exclame Rama, stupéfait.

Scène 6

Le suspens continue dans la salle du conseil. Le Ministre conseille au roi de proclamer la supériorité du dieu Rocher. Entre alors un Vadar :

"Majesté, un moment...

Le Vadar a gagné. Le Ministre conseille au roi de déclarer le Vadar le meilleur de tous.

Scène 7

Les travailleurs Vadar sont ébahis. Ils n'en croient pas leurs oreilles. Ils ne réalisent pas comment un des leurs a pu l'emporter. Le vieux narrateur leur explique :

"Notre roi est sage. Il a de la considération pour chaque individu, dieu ou homme, pareillement. Il se rend compte des qualités de la personne. Il ne se laisse pas impressionner par les grands discours."

Scène 8

Le roi solennellement déclare le Vadar supérieur à tous les êtres du ciel et de la terre. En récompense, il obtient la jouissance de jachères en sept villages. Le Vadar remercie en ces termes :

"Moi, pendant sept generations, je briserai des pierres dans ces champs. Nous fendrons la terre et travaillerons dur. Je construirai des puits, des lacs pour les gens de notre cité. Je leur bâtirai des maisons. J'aurai plus grand soin de ces champs que de moi-meme. Je rendrai la princesse heureuse. Roi, qu'il en soit selon votre vouloir."

Scène 9

La pause est terminée. Le groupe des Vadar reprend ses outils et retourne à son chantier. Yankoba conclut :

"Le dieu Soleil nous a donné ce champ pour en vivre pendant sept vies.
- Cette pierre et cette terre sont notre vie, explique Durga, l'aïeul. Notre peine à travailler ces champs et ces pierres ne sera jamais perdue. Un jour, le moment venu, nous aurons aussi notre place dans la cour de la démocratie d'aujourd'hui."

Trois formes cognitives imaginaires

Nous croyons pouvoir distinguer, dans notre corpus de récits Vadar, trois procès de construction narrative d'une identité collective propre<19>. Trois formes cognitives en sont la représentation figurative imaginaire, à trois niveaux de connaisance : la première forme, au niveau du comportement quotidien, est le portrait d'une personnalité hors pair définie dans les terrmes d'une compétence professionnelle sans pareille; la deuxième forme, au niveau de la puissance qui fait la qualité et la distinction des êtres en ce monde, est celle du kshatriya auquel le Vadar tend à s'égaler puis à s'identifier; la troisième forme, au niveau d'une identité en soi, n'est rien moins que la forme de dieu, rêvée comme la modalité fondatrice de l'être en vérité.

La compétence, titre de reconnaissance et de gloire

La première figure cognitive à porter un procès d'identification de soi est pour les Vadar la projection imaginaire d'un auto-portrait psycho-social. Celle-ci se réalise en référence à la compétence professionnelle et à des valeurs qui en sont les attributs. C'est le thème de plusieurs récits où l'occupation de caste est le fondement d'une argumentation d'excellence à divers titres.

Vdr-01 Résumé

Les rois de Atpadi et Satara convoitaient de grands pâturages mitoyens. Le premier envoya Madanya, son Vadar, extraire des pierres dans le champ, le second y lâcha un taureau, qui tua le Vadar. La guerre éclate entre les deux raja. Le premier roi est battu; il s'enfuit et se réfugie de ville en ville. Avant de mourir bien plus tard à Velapur, il construit un mémorial, un samadhi, en l'honneur de Madanya,, et il en élèves les fils.

L'argumentation du récit consiste à insister sur les traits de compétence hors pair, de courage, de renommée et de confiance royale justement mérités de Madanya,."C'était un Vadar renommé dans tout le pays pour son habileté à détecter dans le sous-sol les dépots de pierres de qualité." "Loyal à son roi," il le suit en exil. "Nous sommes ses descendants" dit l'auteur du récit en guise de signature. "Le roi se montra extrémement compréhensif à l'égard de Madanya,. Il lui érigea un cénotaphe. Tel était le statut, sthan, du Vadar aux yeux du roi. Le roi éleva les deux fils de Madanya,, le Vadar. Ils furent tous les deux aussi braves et réputés que Madanya, pour leur compétence à prédire des dépôts de bonne pierre dans le sol."

Une lecture critique pourrait percevoir Madanya, comme le pur instrument de jeux de pouvoir, sa loyauté celle d'un esclave qui a totalement intériorisé sa soumission, un modèle parfait d'aliénation dépourvu d'identité humaine, un non-homme. Ce n'est pas la vision du narrateur qui réapproprie tout autrement les valeurs d'un âge féodal. Le système des rapports sociaux ne le concerne pas. Ce qui lui importe, c'est "l'effet signifié" affectif, son "interprétant" : le sentiment de fierté qu'il tire de la valeur hors pair du Vadar. Cette valeur se définit en termes d'expertise professionnelle hors du commun, de qualités physiques et morales sans pareilles. La narration déploie deux procès cognitifs de première importance. Il y a, quant au dit ou à l'énoncé comme noème, une création de sens, celui d'une vie érigée en figure exemplaire pour tous; et quant à l'acte de connaître ou noésis comme faculté, c'est la narration comme construction de sens dans une forme de dire, celle du récit, qui en fait une affirmation d'identité. Puis vient le discours, qui en proclame et transmet la signification pour constituer la communauté dans le partage d'un même sentiment de fierté. La forme et le contenu ne sont pas dissociables l'un de l'autre ni possibles l'un sans l'autre. Mythe et identité vont de pair, le signifié est dans le signe et le signe ne serait rien sans son signifié.

Les Vadar sont par ailleurs affectueusement reconnaissant au dieu Maruti, leur guru et protecteur, de cette identité hors du commun :

Vdr-33 Texte

Il y avait des carrières de pierre dans la forêt. Nous avions donc l'habitude de nous y rendre. Une fois, cent des nôtres, des Vadari entreprenaient de briser un seul rocher. Ils y travaillaient depuis quatorze jours. Mais le rocher ne se fendait pas. Il se trouva que Marutiraya vint à traverser cette forêt-là. En passant, il aperçut les Vadar. Les Vadar étaient soucieux. Marutiraya demanda aux Vadar la raison de leur inquiétude. Les Vadar lui racontèrent l'affaire.

Marutiraya frappa un seul coup de sa masse au bon endroit sans se tromper. Il fit voler le rocher en éclats. Le roc que cent Vadar étaient incapables de briser, Marutiraya le brisa d'un seul coup. Nul dans le monde entier n'est aussi puissant et fort que Hanumanta.

Chaque fois qu'une difficulté nous arrête, nous accourons vers Marutiraya. Depuis lors, quand nous avons décidé de fendre un rocher, nous savons frapper au bon endroit. Ceci est un don de Marutiraya.

C'est la foi du narrateur<20> que Maruti est le plus puissant de tous les dieux : "Il nous a donné la main dans notre travail. Nous le considérons donc comme notre guru." Gadi Vadar, il est en fait le prêtre pujari desservant le temple qu'il a construit pour Maruti il y a cinquante ans. Son récit est une réponse à la question : "Pourquoi portez-vous tant de respect à Maruti?" Plus qu'un dieu, ce dernier peut, à entendre son pujari être tout aussi proprement considéré comme le guru de la communauté. Le récit n'explique toutefois pas seulement pourquoi on a tant d'affection pour Maruti et de confiance en lui. Cette lecture est l'interprétation du narrateur à l'intention des fidèles qui visitent son temple. Elle énonce l'état mental et la foi du desservant. L'intention du récit est autre. Elle est de justifier cette confiance en faisant entrer le rapport privilégié que les Vadar entretiennent de fait avec Maruti dans la logique d'un système cognitif où le dieu ou le guru de caste sont pour cette communauté une référence identitaire, un principe de distinction et de differentiation, un droit au respect et à la reconnaissance, le fondement sûr d'un statut propre<21>, en un mot le sceau d'une existence parmi les dieux et les hommes. Or cette existence se définit ici par le prédicat d'une compétence hors pair comme travailleur de la pierre. Voilà le référent que le récit établit et fonde en vérité, et dont le protecteur familier Maruti est le sûr garant. L'image de soi est définitivement définie et validée.

C'est en termes de valeurs morales de travailleur qui ne ménage pas sa peine et ne connait que la pierre à casser par dévouement pour sa famille queVdr-14 propose la même vision de soi comme travailleur sans pareil et des plus estimables.

Vdr-14 Résumé

Le dieu Indra descend du ciel et s'approche d'un Vadar en train de casser des pierres. Celui-ci se dit heureux de s'adonner à son travail pénible et satisfait des quatre anas qu'il gagne par jour car cela lui suffit pour 1-les dépenses de subsistance quotidienne de la famille, 2-le payment de la dette dûe aux parents (devoirs rituels), 3-l'instruction et la formation d'un fils qui lui succédera et 4-les frais de mariage de sa fille. Indra impressionné accorde aux Vadar la faveur d'être les meilleurs travailleurs du monde.

Le récit<22> présente le casseur de pierre "bâti comme un athlète, grand et robuste." Le dieu descendu du ciel sous l'avatar d'un roi pour s'informer sur la façon dont le rude travailleur arrive à faire vivre sa famille, retourne au ciel non plus étonné mais enchanté des réponses reçues; il se dit que vraiment "le Vadar ne souffre d'aucun besoin." Le récit contribue fortement à définir et à maintenir les valeurs fondamentales qui définissent les roles, les vertus et les devoirs d'un chacun dans la vie quotidienne. On pourrait parler ici d'identité prescrite et imposée par la culture dominante. Pour le Vadar il s'agit d'un procès d'affirmation identitaire, d'une revendication de reconnaissance sociale et de droit au respect, plus que d'une injonction intériorisée lui notifiant les normes élémentaires qui doivent guider sa conduite de chef de famille. L'intention du texte et de son auteur sont de faire du récit pour tout Vadar un argument de distinction morale, une raison de confiance en soi, l'atout d'un droit à l'honneur parmi les hommes et les dieux. Le référent est toujours l'excellence du Vadar et le discours sui-référentiel, l'énoncé noématique prouvant sa propre vérité ici par le truchement de l'intervention du dieu. On peut lire de haut en bas (comme un procès de prescription) ou de bas en haut (comme un procès d'auto-légitimation) les rapports argumentatifs qui prévalent entre les deux aires spatiales et sphères d'autorité du récit :

Ciel

Indra navigue dans les hauteurs d'où il surveille la terre

Mouvements et interactions dans l'espace intermédiaire

Indra remarque le robuste Vadar

Indra descend sous l'avatar d'un roi pour rencontrer le Vadar

Indra remonte satisfait après avoir dispensé ses faveurs

Terre / Forêt

Les Vadar gratifiés de l'état de travailleurs durs à l'ouvrage

Le sens du texte est clair, mais le narrateur d'aujourd'hui n'en partage plus l'intention ni la perspective. Il ajoute même au récit qu'il a reçu un dernier énoncé qui ne figurait pas dans l'original pour redresser sérieusement la direction de sa tradition à l'avenir : "Depuis lors notre communauté trime à en crever. Elle casse de la pierre. Aucun progrès. On est content avec ce qu'on a." Le narrateur a fait deux ans d'école, enfant. Le maire de son village est un Vadar. Il trouve dans le récit la preuve et la cause à la fois du manque de progrès de la communauté Vadar. "Pourquoi est-ce que notre communauté est arriérée?" se demande-t-il. La raison en est simple : "Les Vadar considèrent que leur condition a été déterminée par le dieu Indra. Il faut donc se résigner à son sort tel qu'il est." La tradition narrative d'hier perçoit autrement la compétence et le statut du Vadar.

Vdr-22 Texte

Les dieux un jour convoquèrent tous les êtres humains au ciel. Ils avaient disposé au ciel tous les objets. Etaient exposés les outils du potier, du cordonnier, du cordier, du forgeron -- de tout le monde. Celui qui prit la roue devint potier, Kumbhar. Celui qui prit une alêne devint cordonnier, Chambhar, Celui qui prit un rasoir devint barbier, Nhavi. Celui qui prit le sisal devint cordier, Mang. Il y avait une masse en or. Cette masse était l'un des quatorze joyaux. Celui qui la ramassa devint casseur de pierre, Vadar.

Le récit<23> est clair et apodictique: la condition laborieuse des Vadar relève d'une dispensation divine qui a sa particularité différentielle. Elle les identifie par une décision des dieux qui ne sanctionne pas seulement leur état de vie de travailleur manuel au même titre que celui des autres. Elle reconnait aussi et fonde leur distinction parmi les autres castes laborieuses d'un rang comparable : l'outil, emblème de leur identité, est en or, à la différence des autres. C'est même autre chose qu'un outil, c'est l'un des rares joyaux du monde. La compétence du Vadar ne peut manquer d'être, depuis l'origine, un argument d'excellence. Leur suprématie est consacrée par l'événement qui, au ciel même, à la cour divine, par un trait singulier, les établit comme autres que le reste des travailleurs. Par sa forme le récit est auto-fondateur de la vérité de son énoncé. En fonctionnant comme un instrument à la disposition de subordonnés pour créer leur image identitaire, le mythe est capable de transformer un état de servilité en argument incontournable d'une position de supériorité parmi des semblables, les autres castes de même condition socio-économique. Le récit produit la différence anthropologique.

Un autre aspect significatif et distinctif de l'auto-portrait Vadar est la perception que leur travail assure une fonction cruciale pour le maintien de la vie sur terre.

Vdr-23 Texte.

Il y avait un roi. La sêcheresse sévit sur tout son territoire. Êtres humains et animaux périssaient. La sêcheresse dura douze ans. Elle sévit partout. Pourtant dans le palais du roi une source d'eau vive continuait de couler. Le roi et les gens de sa cour étaient donc heureux. Mais un jour la source du palais tarit aussi. Des puits furent creusés ici et là, mais ils restaient secs.

Sidva, le Vadar, était en train de creuser dans une jachère située à la frontière du royaume. A force de creuser, il était parvenu à une profondeur formidable. Il fit exploser une charge de dynamite. Voici que des courants d'eau jaillirent en bouillonnant.

La nouvelle de l'événement se répandit dans tout le royaume. Les gens et les animaux eurent de l'eau. Les courants d'eau formèrent des rivières. L'eau courut d'une ville à l'autre. La population chanta les louanges de Sidva, le Vadar

Le roi convoqua Sidva, le Vadar, au palais. Il l'honora en lui donnant sept acres de pâturage. Depuis lors nous autres, nous sommes à l'honneur.

Gardien des rois, se vouloir kshatriya

La deuxième forme cognitive à porter un procès d'identification de soi est la construction d'un statut parmi les hommes et les dieux. Cette construction se réalise en référence aux ordres de référence qui ordonnent les divers êtres en fonction de leur puissance. Dans cette perspective, les récits foisonnent de rois et de royaumes aux destins tragiques. Les narrateurs font état de royaumes Vadar autrefois prospères. En réalité, les esprits les imaginent plus que les mémoires n'en retiennent le souvenir. Il reste que les récits déroulent des histoires dont les actants sont le plus souvent des kshatriya; ils aiment mettre en scène des rois, leur pouvoir, leurs guerres et leurs déboires<24>. C'est le fond de scène que le Vadar choisit pour faire son entrée dans le monde comme serviteur de rois, sauveur de lignées royales en péril, chef de guerre proche du trône et pilier du royaume (Vdr-37), bâtisseur de palais, à moins qu'il ne se fasse lui-même roi ou reine. Le récit<25> Vdr-34 s'empare ainsi du motif anthropologique de la femme Vadar qui sauve les douze lignages du genre humain en sacrifiant volontairement son état de femme mariée<26> pour le transformer en reine Vadar qui sauve les douze lignages de son royaume, sans devenir veuve. La figure sotériologique reste féminine et Vadar mais elle perd sa valeur anthropologique au profit d'une figure de puissance royale, kshatriya.

Vdr-34 Texte

Le roi et la reine, dans ce royaume, étaient des Vadar. Il y avait douze lignages dans le royaume. Une fois un homme était venu dans le royaume. Il avait coutume de nous dire nos lignées et descendants. En même temps que nos descendants, il nous disait aussi ce qui devait arriver à l'avenir.

Ce grand homme, mahatma, qui avait l'habitude de nous dire nos lignages, alla rendre visite à la reine. Il lui dit : "La destruction du monde (pralaya) va avoir lieu. Tout va être noyé, même le soleil et la lune." Le grand homme dit que "Si vous voulez sauver les douze lignages du royaume, alors, ramassez toutes vos richesses et vos biens, asseyez-vous dans un bâteau, et allez à contre-courant, dans la minute même."

La reine Vadar rassembla les douze lignages et prit la direction qu'on lui avait dit. Elle sauva les douze lignages.

Telle une lame de fond, un désir irrésistible tire la mémoire narrative vers la construction imaginaire de l'identité Vadar sur l'orbite kshatriya. On peut en établir progressivement les moments successifs.

Vient d'abord ce qui apparait comme le profil d'un gardien attentionné de l'ordre royal :

Vdr-07 Résumé

Suivant le plan d'un Gosavi meurtrier, on bande les yeux de la reine quand, après de longues années d'attente, elle accouche de deux jumeaux : les deux soeurs du roi les remplacent par deux chatons et les enterrent dans le tas d'ordure à la porte du palais. Le roi furieux tue la reine. Un Vadar sans enfant trouve les jumeaux dégagés par les sabots de son âne, les adopte et les élève. Quand le Vadar en informe le roi, celui-ci reconnait ses enfants et réalise la fourberie de ses soeurs; il les met à mort, reprend ses jumeaux et donne de la terre en récompense au Vadar.

Suivons en détail la section du récit qui met en scène le Vadar :

Vdr-07 Section

... Un jour, l'âne d'un Vadar alla brouter sur le tas d'ordure. Pendant que l'âne fouillait dans les détritus avec ses pattes, le Vadar trouva les deux enfants. Il n'avait pas de descendance. Il les éleva. Les enfants grandirent.

Une fois le Vadar faisait des travaux de terrassement dans le palais du roi Dharveshala. A ce moment-là, les deux enfants l'accompagnaient. Ils ressemblaient tous les deux au roi. Un jour le roi les vit. Leur vue le plongea dans une grande confusion. "Comment se fait-il que ces enfants me ressemblent", se demandait-il. Il s'enquit de leur père et mère. Les enfants lui dirent le nom de leur père. Le roi désira vivement rencontrer leurs parents. Le roi fit venir ceux-ci au palais. Quand le roi se mit à chanter les louanges du Vadar et de ses enfants, le Vadar ne put garder son secret. Il révéla la vérité de l'affaire.

Le roi alors comprit tout l'événement. Il appela ses deux soeurs. Il leur rasa le crâne, leur passa la tête à la chaux et les brûla au pilori. Le roi prit les deux enfants dans le palais et donna au Vadar en récompense les jachères de vingt huit villages.

Cette section suggère deux remarques.

Premièrement, l'âne du Vadar est un actant dont le rôle décisif ne se dissocie pas de celui de son maître. Il intervient comme alter-ego de ce dernier pour une fonction qui est de sauver la descendance du roi en retrouvant les jumeaux afin de pouvoir ensuite les élever. Deuxiémement, le Vadar se trouve dans une situation inverse de celle du roi. Celui-ci a des enfants qu'il perd à la naissance, il retombe dans la longue crise antérieurement créée par la stérilité de la reine. Le Vadar n'a pas d'enfant, il élève ceux du roi comme les siens, il sort de la crise de stérilité qui affecte sa famille. Sans doute fallait-il qu'il n'ait point d'enfant pour sauver ceux du roi et les lui rendre, puisqu'ils se doivent d'appartenir au roi et d'en assurer la descendance.

Le récit construit le rôle du Vadar comme entièrement subordonné à celui du roi qui est d'avoir des héritiers pour assurer sa lignée et la continuité du royaume. Le Vadar est le guardien du roi. Il tend à se fondre, par son actance, dans l'actance kshatriya du roi, le héros du récit. Au terme, grâce au Vadar, l'ordre des choses retrouve la configuration qu'il n'aurait jamais dû perdre : les méchantes soeurs, à la parenté de sang mais aux oeuvres de destruction, sont mises à mort, c'est-à-dire hors d'état de nuire au royaume; le bon serviteur, au lien de servitude mais aux oeuvres de construction, est assuré de la vie avec quatre fois sept jachères, c'est-à-dire mis en état de servir la prospérité du royaume. Chacun retrouve la plénitude de son rang avec les vrais attributs de son état : le roi des fils, le Vadar des terres, ainsi qu'il se doit.

On pourrait considérer que la fonction de salut de la lignée kshatriya n'est ici qu'implicitement le prédicat du Vadar. C'est par chance et grâce à l'âne qu'il découvre les jumeaux, c'est sans le savoir qu'il sauve des princes de sang, c'est pour cacher sa stérilité qu'il adopte des nouveaux-nés jetés au rébut, c'est à l'occasion de son travail au palais que le roi rencontre fortuitement ses enfants, c'est à l'initiative du roi qu'il révèle ce qu'il voulait garder secret, c'est le roi qui a l'intelligence des événements; en un mot c'est comme serviteur subordonné, c'est-à-dire sans le vouloir directement, qu'il sauve la descendance royale. Il est vrai que le theme de Vdr-07 est celui de l'antagonisme qui oppose férocement les soeurs aux frères. Mais il est non moins vrai que dans le cadre de cette thématique dominante, toute la logique narrative consiste à montrer que c'est au Vadar que va en réalité le mérite d'en renverser le triomphe. C'est le serviteur qui est l'instrument du retour à l'ordre des choses. Il faut un Vadar pour que le kshatriya soit et demeure.

Telle fut certainement l'intention de l'auteur de Vdr-21. L'intention de son texte est explicite. Il se peut même qu'il se soit approprié un récit où ne figurait aucun Vadar parce qu'il pouvait en transformer narrativement la finale à des fins sémantiquement nouvelles.

Vdr-21 Résumé

Le roi Shantanu tombe amoureux de Satyavati, une fille Koli qu'il voit se baigner dans la rivière. Il l'épouse avec son accord mais la prévient qu'aucun de ses enfants ne vivra. Elle y consent. Shantanu jette à la rivière ses six premiers fils et rejette sa demande de laisser la vie au septième. Enceinte à nouveau, Satyavati s'enfuit pour aller vivre douze ans en forêt et y pratiquer des austérités. Elle est transformée en rocher. Un Vadar fend le roc et trouve l'héritier de Satyavati et Shantanu : il sauve la descendance kshatriya

La mort des descendants est ici le fait du roi et non d'un ennemi extérieur. Le thème dominant initial a bien pu n'être qu'une tension entre populations tribales et moeurs royales. Mais cette opposition est ici reléguée au second rang; elle reçoit le statut logique d'un moyen terme instrumental. La mise à mort par le roi de ses propres fils est une mise en scène requise pour créer une situation de crise qui appelle un sauveur. Le récit est construit pour montrer que précisément c'est le Vadar qui est ce sauveur. Sans lui, le kshatriya même n'existerait plus. Le détail de cette section nous en convainc sans peine : quand le roi met fin à sa lignée kshatriya, c'est le Vadar.qui se reconnait le devoir de la garder vivante, comme si c'était sa raison d'être, un prédicat actantiel identitaire :

Vdr-21 Section

... "Laissez finalement vivre le septième garçon! Laissez notre descendance croître!" Telle était la requête que Satyavati faisait au roi. Mais le roi ne l'écouta point.

Pendant sa grossesse même, Satyavati quitta la maison et gagna la forêt où pendant douze ans et douze mois, installée sur le bord de la rivière, elle pratiqua des austérités. L'eau de la rivière accumula sur elle la mousse et les coquillages de sorte qu'elle devint un rocher.

Un Vadar vint casser le rocher. Il fendit le rocher en deux. Il éleva la descendance de Satyavati et Shantanu. Cette descendance est la lignée kshatriya.

La troisième forme d'argumentation vise non plus un prédicat actantiel mais le désir des Vadar de se hausser ontologiquement jusqu'au rang de kshatriya. Le voeu se voit exaucé par le plus illustre descendant de la lignée solaire des kshatriya, Ram lui-même, dans Vdr-11. Le narrateur<27> rapporte le mythe pour rendre compte de la croyance de la communauté dans son appartenance à une lignée solaire. On peut remarquer que Vdr-10 ne réalisait cette élévation qu'implicitement, par le mariage avec une princesse qui quittait le palais et venait habiter dans la demeure du Vadar; et indirectement, comme une récompense méritée au terme d'événements apparemment d'un autre ordre.

Vdr-11 Texte

C'était une fois, mère Sita était assise dans la chaumière. Frère Lakshman était assis juste en face d'elle. Mère Sita aperçut une splendide gazelle dorée. Mère Sita dit avec entêtement à Lakshman : "Je veux un corsage taillé dans la peau de cette biche." Pour satisfaire l'envie pressante de mère Sita, Lakshman prit son arc et ses flèches et poursuivit la biche. Lakshman s'en fut fort loin. A la chaumière, Ravan arriva déguisé en Gosavi pour s'emparer de Sita. Il la prit et l'emporta.

Ram et Lakshman rentrent à la chaumière et regardent partout. Ils ne trouvent plus Sita. Ram et Lakshman se mettent alors à la recherche de Sita. Ram braille éperdument "Sita! Sita!"

Ram était si peiné qu'il se mettait à étreindre les arbres, à enlacer les lierres, à embrasser les rochers.

Un Vadar était à ce moment-là en train de casser un gros rocher quelque part. Ram se mie à étreindre ce rocher-là aussi. Mais alors le bruit des coups qui brisent le roc lui casse les oreilles. Ram supplie le Vadar d'arrêter de frapper le rocher avec sa masse parce que "Ma Sita se trouve dedans", lui dit-il. Ram raconte toute l'histoire au Vadar.

Le Vadar en fut extrêmement peiné. Considérant que le triste sort de Ram était dû au désir de mère Sita d'avoir un corsage taillé dans la peau de la gazelle, le Vadar décida que "Nos femmes ne porteront pas non plus de corsage tant que Sita ne sera pas retrouvée."

Dans toute la société, notre communauté est la seule à avoir tenu sa promesse. C'est la raison pour laquelle Ram lui-même consentit à nous accorder une descendance solaire (suryavamshi).

Plusieurs niveaux d'interprétation donnent au discours diverses significations qui s'imbriquent aisément. Le narrateur les construit et les compose avec une claire intelligence de la visée ultime de son argumentation, qui est de fonder la croyance de sa communauté dans une descendance solaire. Cette faveur obtenue en récompense de leur profonde sympathie pour Ram comble définitivement l'aspiration identitaire qui traverse leurs récits. Il reste à en comprendre l'argumentation et la validité.

Commençons par noter que d'autres récits donnent d'autres explications de la coutume prescrivant aux femmes Vadar de ne point porter de corsage et d'aller les seins nus. Cette règle de conduite est le plus souvent expliquée comme une malédiction infligée par Sita. Qui plus est, cette malédiction est elle-même diversement justifiée. La raison la plus commune est reprise parVdr-20 : Sita a condamné la communauté à cette coutume déshonorante parce qu'un Vadar qui cassait des rocs le long d'une rivière a malencontreusement porté ses yeux sur celle-ci en train de prendre son bain, nue, dans la rivière.

Vdr-08 donne une autre raison de la malédiction portée par Sita. Sita enlevée par Ravan se cache à Lanka dans la forêt d'Ashok. Les soldats de Ravan, à court de saris pour en enrouler la queue de Maruti afin d'y mettre le feu -- Maruti rallonge sa queue indéfiniment au fur et à mesure que les soldats l'enveloppent de saris et autres tissus -- pénètrent dans la forêt avec l'ordre de Ravan d'en rapporter le sari de Sita, le seul tissu qui reste disponible dans toute l'île. Un Vadar se trouve en train de briser un rocher dans cette même forêt. Il n'a pas remarqué que Sita se cache précisément derrière le même rocher. Il ne l'a pas non plus entendu lui adresser la parole pour lui ordonner d'arrêter ce bruit assourdissant qui lui déplait. Le bruit des coups attire l'attention des soldats qui trouvent Sita, l'arrêtent et l'emmènent pour être dépouillée de ses vêtements. Sita, furieuse, pour se venger, maudit les Vadar : leurs femmes sont condamnées à "rester nues" comme elle puisque les soldats l'emmênent pour être dépouillée de ses vêtements. En fait Maruti trouvera, on le verra, un stratagème pour éviter à Sita l'outrage d'être mise à nu. Mais le mythe n'en fait pas bénéficier les femmes Vadar qui restent sous le coup de la punition infligée par Sita.

Vdr-29 et Vdr-09 fournissent des explication encore fort différentes. Vdr-29 a pour contexte sémantique l'opposition des deux ordres humain et animal. Le fait maintenant considéré comme indécent de ne pas porter de corsage est à la fois expliqué et justifié comme une vengeance de la femelle singe qui réduit l'autre à un état animal semblable au sien. "L'effet signifié" du récit est ainsi indirectement pour les femmes Vadar une sorte d'excuse pour une pratique condamnable, dont le récit en disculpe aussi bien toute la communauté.

Vdr-29 Texte

Un singe femelle se rend vers la rivière avec ses petits. Une femme Vadar est en train de laver son linge dans la rivière. Elle dit : "Qu'est-ce que cela, femme-singe, tu allaites tes cinq petits en exposant tes seins!" La femme-singe repartit : "Après tout, je suis singe. Mais vous aussi, vous allaiterez vos enfants en exposant vos seins. Vous ne serez pas autorisées à porter de corsages."

Le contexte sémantique de Vdr-09 est purement sotériologique :

Vdr-09 Texte

Il y a de nombreuses années, un bâteau à vapeur avait mis la voile et pris la mer. Dans ce bâteau, avaient pris place douze clans (kuli), douze castes, qui partaient pour un autre pays afin d'y trouver à manger. Il y avait des Vadar sur le bâteau.

Comme le bâteau naviguait, tout à coup, un ouragan se déchaîna, des pluies se déversèrent à torrent, de hautes vagues s'élevèrent. Ballotté au milieu des vagues, le bâteau allait se renverser. Tout le monde avait peur.

Que le bâteau sombre et tous les gens allaient périr. Les douze clans, les douze castes allaient sombrer. Des gens se mirent à crier que pour apaiser l'océan quelqu'un devait lui jeter ces ornements que portent les épouses dont le mari est vivant (corsage, bracelet, kumku).

Aucune femme n'était consentante à s'en défaire et à jeter à la mer ces ornements que portent les épouses dont le mari est vivant. Toutefois, une des femmes Vadar qui étaient sur le bâteau se dépouilla du corsage qu'elle portait, jeta ses bracelets, lava son kumku dans l'eau de l'océan. Elle offrit tout à l'océan. La mer s'apaisa. Les douze clans, les douze castes furent sauvées.

Depuis lors, les femmes ne portent plus de corsage, ne se mettent plus de poudre rouge au front. L'océan, le dieu, en a fait des veuves.

La pratique indécente est ici raccordée à un récit où au contraire la communauté construit de soi une image sacrificielle hautement positive et recommandable. Le signe des seins nus en acquiert une tout autre valeur. Il devient le signe de la supériorité morale et humaine des Vadar.

Ces différences sont typiques de la façon dont la logique mythique compose le texte de son discours et en construit le sens. Tout comme Vdr-08 et Vdr-20, Vdr-11 s'empare de mythèmes qui appartiennent à la tradition épique, hégémonique, pour en transformer l'usage à sa façon. La signification du récit est dans la logique qui préside à ces transformations, qu'il nous faut comprendre.

Dans Vdr-08, il s'agit du cycle de Maruti / Hanuman, un dieu avec lequel les Vadar entretiennent des relations familières (on l'a vu avec Vdr-33), et avec les exploits<28> duquel ils aiment aussi s'identifier. Maruti, venu à Lanka pour y retrouver Sita, est arrêté par les soldats de Ravan. Ceux-ci ne trouvent pas assez de tissu dans tout le pays pour lui envelopper la queue afin, ensuite, d'y mettre le feu et en anéantir la puissance. La tradition reçue dit autre chose : le dieu-singe échappe aux soldats et déjoue leur plan en sautant dans la mer qui éteint le feu déjà allumé. C'est là un mythème que ne retient point le narrateur de Vdr-08 car il ne peut le reapproprier à ses fins. Il ne met donc point le feu aux vêtements enroulés à la queue de Maruti pour l'éteindre dans la mer. Il fait jouer à Maruti un autre stratagème : sa queue s'allonge proportionnellement au tissu dont on l'enveloppe, indéfiniment, si bien que tout le tissu et tous les saris de Lanka sont utilisés; seuls restent les vêtements que porte Sita que Ravan donne donc l'ordre d'arrêter pour l'en dépouiller. Comprenons que le narrateur se doit de trouver le moyen d'introduire une Sita qui maudisse le Vadar. Il le fait fort habilement en modifiant de part et d'autre le matériel narratif à sa disposition. Il transforme d'une part le rôle de l'actant "queue de Maruti" dans le volet épique; et d'autre part, du côté des éléments de base du mythème familier à ses auditeurs Vadar [Sita derrière un rocher -- que casse un Vadar -- dont elle maudit les femmes à garder les seins nus, par vengeance punitive], le rocher ne cache plus une Sita au bain mais fuyant les soldats de Ravan et importunée par le bruit qui l'importune, lequel attire les soldats qui vont la trouver et l'emmener pour être dépouillée. Il fallait aussi que le Vadar soit bien fautif : d'où l'ajoute de l'ordre d'arrêter le bruit, qu'il n'entend même pas, toujours à cause du bruit qu'il fait. La malédiction devient à nouveau logique au nom du même sémantisme de vengeance de Sita en colère contre la communauté Vadar, dont les femmes font encore les frais sans avoir davantage figuré dans l'incident.

Dans les deux récits Vdr-20 et Vdr-08, la transformation des mythèmes et de leur usage aboutit à la même malédiction et à la même explication d'une coutume qui pose question. Là est la signification du récit pour le narrateur d'aujourd'hui. En réalité, le récit n'est pas seulement étiologique. Le scénario narratif de malédiction est lui-même signe d'un autre objet plus importante : en reliant la prescription de la coutume à une malédiction de Sita, les Vadar, comme communauté, s'insèrent, à la faveur même de cette malédiction, dans la tradition épique et le système de communication symbolique hégémonique. Le récit invertit une punition et un symbole d'indignité en atout d'intégration socio-culturelle; il s'approprie un idiome pour un autre investissement sémantique. Devenues l'objet d'une parole qui leur est directement adressée par Sita, et, par leurs seins nus, images vivantes de Sita elle-même par volonté expresse de celle-ci, les femmes Vadar deviennent un chaînon qui relie leur communauté à la grande tradition épique et la font entrer dans le système dominant de communication symbolique, fût-ce par la porte arrière et la tête basse. Tel est "l'interprétant" du signe qu'est le corsage manquant. Poursuivons maintenant la comparaison avec Vdr-11.

C'est une entrée par la grand-porte royale et la tête haute que Vdr-11 propose à sa communauté au terme d'une autre forme d'appropriation et de transformation, audacieuse celle-là, des mêmes mythèmes. C'est maintenant Ram lui-même que l'auteur du récit met en scène : ses pleurs hystériques le font enlacer le rocher que fend le Vadar. Même déplaisir causé par les coups sur le roc qui lui cassent la tête. Mais ici, par un coup de génie, l'auteur du récit inverse la valeur des opérateurs logiques : Ram ne se plaint pas ni ne maudit le shudra; la peine de Ram fend le coeur du Vadar qui compatit, c'est-à-dire prend l'initiative de s'identifier affectivement à Ram et de configurer symboliquement sa communauté à Sita; l'envie d'un corsage en peau de biche qui déclencha tout lui fournit élégamment le chaînon argumentatif requis à cet effet.

Finalement, les seins nus ont la même fonction intégratrice mais leur valeur logique est inversée et profondément transformée. Ils opèrent ce que le Vadar désire et chérit par dessus tout : être fils du Soleil. Nul ne pouvait mieux l'en gratifier que Ram, le héros par excellence de la lignée solaire, en échange pour la compassion du Vadar qui partage sa peine, "le seul dans toute la société à tenir sa promesse." Le récit Vdr-11 construit narrativement de façon magistrale et offre de façon définitive, ce vers quoi le Vadar tend souvent de façon hésitante et mal assurée, son identification comme kshatriya.

Fonder une identité à soi, se rêver dieu

La troisième forme cognitive à porter un procès d'identification de soi répond à la quête d'une existence pour soi, fondée et assurée. Cette quête se réalise communément à travers les signes de la 'découverte' ou de 'l'invention' c'est-à-dire de la création d'un dieu à soi, puis la légitimation d'un culte propre. La communauté se reconnait alors dans le miroir de son dieu et trouve l'assurance d'une existence autonome dans l'identification à ce dieu. Ce procès n'est pas spécifique aux Vadar, pas plus que la dimension conflictuelle qu'il ne peut éviter de prendre quand des shudra s'arrogent ainsi le droit de créer, d'installer et de vénérer un dieu de leur choix et, ce faisant, de fonder symboliquement la légitimité de leur existence pour soi et la validité d'une identité à part comme collectivité. S'arroger un tel droit est un acte d'insurrection mais pour un shudra, pas d'identité propre qui ne soit auto-fondatrice, et pas de fondation sûre qui ne s'autorise de la figure du dieu. C'est donc naturellement en termes de légitimité des dieux que se pose la question de la fondation de l'identité collective.

Quatre récits de notre corpus,Vdr-05, Vdr-06, Vdr-28 et Vdr-38, témoignent de ce procès conflictuel et relèvent de la même structure argumentative, fût-ce avec des circonstances et dans un contexte différents. L'exemple suivant<29>, simple et clair, la laisse bien percevoir.

Vdr-28 Texte

Il y avait un grand réservoir d'eau. Il était à sec à cause de la chaleur de l'été. Le champ dans lequel se trouvait ce réservoir appartenait à un paysan. Il avait embauché un Vadar pour niveller son terrain. Un couple Vadar faisait le travail. Leur petit garçon était en train de jouer dans le lit du réservoir. En jouant, il trouva une idole, murti, dans le bassin. Le couple la nettoya soigneusement.

Au même moment, des paysans Lingayat arrivèrent sur les lieux et entreprirent d'expulser les Vadar. Mais le Vadari ne s'en allait pas. Il ne cessait de dire : "C'est notre dieu à nous, Mati Vadar. Sinon autrement pourquoi le dieu aurait-il quitté sa place dans le monde entier pour venir lui-même s'enterrer ici dans la boue? Il est notre dieu." L'idole elle-même ne se laissait pas déplacer du limon. Finalement, il fallut ériger un temple à cet endroit même.

Un autre récit moins commun mérite, dans cette perspective, une attention particulière. Il offre une reprise symphonique des éléments symboliques mentionnés tout au long de cet essai, dans une construction à la logique ramassée et serrée. Il réalise le rêve Vadar, en se voulant kshatriya, de s'identifier, en réalité, figurativement et secrétement, sous la forme rupa d'un dieu, fondant définitivement, dans la même figure, à la fois son existence et son identité.

Vdr-24 Texte

Il y avait un potier, un Kumbhar. Il avait un âne. Cet âne ne cessait pas de dire, avec obstination, qu'il voulait la fille du roi pour épouse. Le Kumbhar se dit que pour peu que le roi apprenne l'entêtement de l'âne, le roi me tuera. Le Kumbhar en conséquence décida de quitter la ville. Il n'y avait qu'un Kumbhar dans la ville. Le roi par décret lui interdit de quitter la ville.

Le Kumbhar fut convoqué au palais. Quand le roi lui demanda la raison qu'il avait de quitter la ville, le Kumbhar lui raconta toute l'histoire. Le roi dit au Kumbhar : "Si l'âne me construit en une nuit une ville de bronze et de cuivre, alors je donnerai ma fille à l'âne." Le Kumbhar dit à l'âne ce que le roi lui avait dit. L'âne érigea en une nuit une cité de bronze et de cuivre. Le roi donna à l'âne sa fille en mariage. Il fit construire pour eux un palais dans la forêt.

Chaque jour, en plein milieu de la nuit, un cheval descendait du ciel. L'âne devenait un roi, s'asseyait sur le cheval et faisait le tour du monde entier. Une nuit la reine se réveilla et vit toute l'affaire. Quand la reine demanda à l'âne de lui dire la vraie histoire, on comprit que l'âne est une forme de dieu.

La structure du récit, le sens du texte

Le récit se préoccupe de l'identité de l'âne. Une opposition binaire fondamentale oppose l'apparence empirique à la vraie réalité. Elle sert une logique de révélation de la vraie nature de l'âne, qui reste cachée, non dite, non proclamée et donc méconnue. Le résultat du procès narratif est une radicale inversion de statut : l'état de subordination absolue de l'âne se transforme en une absolue suprématie sous les attributs d'une autorité royale divine. La dynamique du récit est celle d'une revendication pour l'âne de puissance suprême, soutenue par une argumentation qui en déploie progressivement la validité. La construction narrative s'articule en une série de renversements successifs qui s'enchaînent, chacun d'eux marquant l'introduction d'un nouveau niveau sémantique et d'un nouvel ensemble d'oppositions. On peut organiser les séquences d'oppositions significatives comme un discours dramatique en trois actes.

Acte 1 : Domination incontestée : opposition (1) d'un âne, bête de somme totalement asservie, dont la requête est rejetée sans appel, et de son maître, l'homme; et opposition (2) d'un potier, artisan totalement asservi, dont la décision est annulée sans appel, et de son maître, le roi. L'état de subordination de l'animal à l'artisan et de l'artisan au roi nie toute possibilité d'existence autonome à l'un et à l'autre. La situation de sujétion de l'âne redouble celle de son maître sans avoir toutefois comme ce dernier un partenaire inférieur qu'il pourrait asservir à son tour. L'âne est la pure figure de l'aliénation de soi au pouvoir de l'autre. La réduction au silence en scelle l'esclavage.

Acte 2 : Suprématie non reconnue. L'opposition (1) de l'âne au roi s'active par un retournement : l'âne défie le roi, il se prétend son égal; mais le roi met à son tour l'âne au défi de prouver son droit à obtenir la princesse. L'opposition (2) de l'âne au roi se redouble en s'amplifiant : l'âne se montre de beaucoup supérieur au roi et obtient la princesse; mais le roi exile l'âne et la princesse de la cité.

L'âne, l'actant en position de plus grande faiblesse se prétend l'égal du roi, l'actant en position de plus grande puissance. Au défi des mots succède le défi des actes. L'âne se montre plus puissant que le roi dans des oeuvres qui sont du ressort de la fonction royale. Le roi est pris à son piège. Il doit avouer que l'âne est du même ordre royal que lui en lui donnant sa fille. Plus que cela, l'âne transporteur de terre à pétrir et de pierre à bâtir, s'avère bâtisseur de cités en métal qui défient les âges. L'âne se montre capable de prérogatives royales d'une ampleur inouïe, divine.

Mais le roi retourne deux fois la situation contre l'âne : d'abord en obtenant que l'exploit se produise en pleine nuit pour que nul n'en connaisse l'auteur; ensuite en exilant l'âne et la princesse dans un palais royal construit en plein monde végétal et animal, dans la jungle, où n'existe nul être humain pour en reconnaitre le pouvoir. Un roi à qui sont refusés sujets et territoire peuplé d'humains, est un roi répudié. Un roi non reconnu est un roi bafoué. L'identité de l'âne est dérobée aux hommes et les animaux sauvages y sont insensibles.

Acte 3 : Identité dévoilée. L'opposition (1) de l'âne, animal dénigré des shudra, chevauchant le cheval, monture des rois, réalise un premier renversement en termes de pouvoir. L'opposition (2) de l'âne, bête de somme, devenant une forme de dieu, réalise le deuxième renversement en termes d'identité.

Le renversement des valeurs et des attributs est total : l'âne, transporteur de terre et de pierre, emblème d'une condition d'absolue sujétion, rivée au sol, obtient, du ciel, l'attribut de la puissance sous le signe du cheval, qui le transporte dans sa ronde autour du monde entier, pour rêgner sans partage. L'esclave par excellence devient le maître sans conteste, investi par le ciel d'un empire sans partage. Qui plus est, les attributs de la puissance qui lui sont impartis le font apparaitre dans sa vraie forme, c'est-à-dire révèlent ce qu'il est en réalité, dieu.

Toutefois, l'opposition (3), celle du jour et de la nuit, structure le dernier et ultime renversement. La révélation ne se réalise qu'au plein milieu de la nuit, entre deux jours de ce monde, dans un temps qui n'est point de ce monde et n'en peut donc être que la ténèbre, c'est-à-dire quand le monde n'a pas d'yeux pour en contempler la manifestation. Qui plus est, la gloire de l'âne luit au milieu d'une jungle qui ne peut être que dépourvue d'entendement puisqu'elle est un non-monde de l'homme. L'espace et le temps du dévoilement ne sont point celui du jour des hommes ni de leur territoire. On ne voit point que la reine en publie la nouvelle : à qui le pourrait-elle puisqu'il n'y a point d'homme que ses paroles pourraient atteindre.

Le discours du mythe ne parle qu'aux Vadar dont il nourrit la foi, car ils en ont la vision. Mais qui, dans la cité qu'ils servent avec leur âne, pourrait la partager? Le discours du mythe terminé, la nuit lumineuse de la révélation cède la place à la lumière du jour dans laquelle la vraie identité de l'âne ne se laisse plus appréhender, car la lumière du jour laisse les hommes dans le noir.

La signification du mythe, la foi identitaire

Le récit réfléchit comme un miroir l'intelligence de soi que partage la communauté Vadar. La construction narrative reflète symboliquement, dans sa dialectique même, les étapes d'une affirmation progressive d'identité. Cette connaissance procède logiquement par le détour de la figure de l'âne, dans la revendication duquel la communauté reconnait sa voix et son desir, au nom d'une similarité de destin entre la condition Vadar et le sort de l'âne, maudit selon Vdr-02 à rester "avec des fardeaux en permanence sur le dos, travaillant sans répit jusqu'à la mort." Le discours sur l'âne est un procès d'identification de soi. Il reste à en percevoir la force argumentative et à en comprendre la pleine signification.

L'interprétation ne peut que partir des deux figures qui sont communément retenues par les Vadar comme signes d'identité dans l'ensemble du corpus que nous avons recueilli : l'âne et Hanumæn ou Maruti. C'est au cours d'une discussion, lors d'une séance de recueil, qu'un vieillard Vadar dit que l'âne est un avatar d'Hanuman, mais qu'il ne connaissait pas l'histoire à ce sujet; à ces mots, le narrateur<30> se rappela le récit Vdr-24 qu'il rapporta avec l'intention expresse de montrer que l'âne est une forme de dieu. Ces propos nous livrent trois représentations qui jouent le rôle de notions-clés et nous serviront de repères : celle de l'âne comme bête de somme, celle d'Hanuman comme héros rebelle convoitant la puissance des dieux, et celle de dieu comme clé de voûte qui les tient ensemble. Ces trois signes se fondent l'un dans l'autre pour composer une image de soi singulière. C'est sur eux que le discours s'appuie pour construire narrativement une argumentation qui se déploie en trois opérations cognitives. Ces trois procès de connaissance sont trois réponses symboliques à la question : "Nous, Vadar, qui sommes nous?" ou plutôt : "Qui devrions-nous prétendre être, en réalité?"

La première opération est la revendication victorieuse d'un statut d'égalité entre le Vadar de condition servile et le roi de condition kshatriya. Elle s'articule dans le mariage de l'âne et de la princesse.

Cette opération s'appuie logiquement sur l'âne comme emblème d'une condition de servilité dont le référent est l'état laborieux et subordonné de la condition Vadar quotidienne. Le départ de ce premier procès de construction identitaire est la conscience immédiate de soi comme être de labeur, symboliquement articulée dans la figure de l'âne comme bête de somme qui ne connait que la terre et la pierre à transporter en silence jusqu'à la mort. L'argument se base sur un sentiment d'affinité du maître avec son âne. On a mentionné au tout début les douze castes qui se reconnaissent comme formant "la parenté de l'âne" parce qu'elles en dépendent dans leur travail, et le traitent comme un animal familier. Selon Vdr-02, les Vadar se montrent fiers et honorés de montrer le pinda que leur âne porte inséré sous son sabot comme une récompense accordée par le dieu Shankar. On a vu commentVdr-13 fait de l'âne un alter-ego de son maître pour sauver le roi et sa lignée. Vdr-17 se préoccupe avec une certaine pitié affectueuse d'expliquer pourquoi ce compagnon de tous les jours est un peu défiguré par des narines plates et larges, comme punition en fait imméritée. Connivance, familiarité, sympathie marquent les relations du Vadar avec son compagnon de labeur. De même que des paysans respectent et honorent leurs boeufs de trait, les Vadar tiennent leur âne en haute estime et l'honorent. Cette affinité leur vaut le même statut d'êtres serviles, dénigrés, méconnus, de shudra La rhétorique courante de la langue marathi qualifie d'âne une personne jugée sotte, obtinée et indolente, insensée dans ses comportements, ou bien "bêtement" adonnée à ses tâches; les fantômes eux-mêmes, dit-on, s'enfuient à la vue d'un âne; l'âne était un Ghandarva et par conséquent l'objet normal de la colère des dieux; l'âne ne se nourrit pas de fourrage mais d'ordures, dans lesquelles il se vautre. L'animalité de l'âne en fait l'opposé de l'humanité, à plus forte raison de son expression suprème dans la forme du prince.

Demander la princesse comme épouse est une revendication d'égalité qu'un shudra ne saurait se permettre sans risquer la mort. Le Kumbhar est bien avisé de quitter la ville pour y échapper. La même valeur sémantique –le Vadar épousant la princesse– triomphait dans Vdr-10 au nom de l'excellence du shudra comme casseur de pierre et lui valait, comme résultat d'une affirmation de soi antagonistique dirigée contre le plus prestigieux des prétendants, la reconnaissance d'une parfaite égalité avec le kshatriya. Dans Vdr-24, cette reconnaissance se conquiert de façon non moins antagonistique, au nom de la même compétence de travailleur Vadar, fût-ce comme bâtisseur et non plus casseur de pierre, à l'encontre d'un prétendant non moins autorisé et singulier, le prince même de la cité. Le Vadar n'est vraiment inférieur à aucun des plus puissants qui soient : dans les deux récits, le roi le reconnait en donnant sa fille comme épouse<31>.

La deuxième opération est la revendication victorieuse d'un pouvoir supérieur à celui du kshatriya lui-même, ce que Vdr-10 n'envisageait point. Elle s'articule dans la construction d'une cité dont la matière résiste au temps.

L'affirmation antagonistique revendique un pouvoir d'une ampleur et donc d'une nature qui dépasse celle du prince, détenteur de tout pouvoir. Elle est stupéfiante. Il ne s'agit même plus d'un conflit entre égaux. Le roi se reconnait inégal à l'âne au point que pour ne pas déchoir il se doit de l'exiler. Il ne peut tenir face à sa suprématie. Il se doit de la néantiser. Les Vadar s'affirment ici avec une audace inouïe et une confiance en soi incroyable -- en ce qu'elle est le retournement de leur comportement de fait -- les détenteurs d'une puissance qui surpasse en efficacité celle du roi. Ils construisent narrativement la conscience qu'ils prennent de leur compétence sans pareille de bâtisseurs comme un argument de puissance sans égale dans la cité. On a vu jusque là qu'ils se perçevaient comme travailleurs hors pair au role souvent crucial pour la vie du royaume, le salut des rois, de leur lignée et de leurs royaumes<32>; mais toujours en tant que serviteurs dévoués jusqu'à la mort. Ils se glorifiaient d'une expertise sans pareille, mais ne revendiquaient pas, à ce titre, un pouvoir supérieur à celui de leur maître et patron. Ils en acceptaient des jachères en abondance comme un titre d'honneur et un droit de reconnaissance, mais en fidèles sujets. C'est désormais un droit à la domination que le serviteur réclame en s'identifiant comme supérieur en puissance à son maître.

La troisième opération cognitive est une revendication d'identité de nature divine. Elle s'articule dans la figure d'un roi chevauchant un cheval céleste pour exercer son empire sur le monde entier.

La figure du coursier céleste descendant des hauteurs pour investir l'âne d'une royauté universelle, répond, pour le réaliser, au voeu exprimé dans d'autres récits Vadar mais toujours pour être fermement réprimé, de s'approprier le pouvoir des puissances célestes et de rêgner sans rival sur la terre. Sachant que pour les Vadar l'âne, leur alter-ego, est un avatar d'Hanuman, lui-même dieu familier<33> des communautés Vadar, il ne fait pas de doute que le saut d'Hanuman dont parlent des mythes est une autre figure de ce même voeu de s'égaler à eux, c'est-à-dire de s'identifier comme dieu en se les assujettissant pour s'emparer de leur empire sur terre. Aucun mythe n'avait encore pu le leur assurer comme le fait Vdr-24.

Vdr-02 Section

Hanuman, fils de Vayu, quand il naquit, juste à l'instant où il prit naissance, sauta pour avaler Surya, le Soleil. Tous les dieux tremblèrent de frayeur. Indra réussit malgré tout à le frapper de sa massue et à le faire tomber sur la terre. Tous les dieux considèrent que c'était la faute de Vayu. La colère s'empara de Vayu. Il se fâcha et décida de rester caché, peu importe que tous les êtres meurent de suffocation... Au nom de tous les dieux, Shankar demanda pardon à Vayu et le requit de sauver la vie sur terre. Vayu s'apaisa. Il accéda à la requête de Shankar.

Vdr-18 Section

Hanuman est le onzième avatar de Shankar. Une fois, dans son enfance, Hanuman eut faim. La mère d'Hanuman alla cueillir des fruits. Hanumanvit dans le ciel une chose rouge et ronde. Pensant que c'était un fruit, il sauta sur le Soleil... Indra réalisa que personne d'autre que Shankar pouvait avoir assez d'audace pour créer des ennuis à Surya. Cela ne pouvait être qu'un coup de Shankar. Indra envoya donc une armée pour faire la guerre à Hanuman. Mais Hanuman extermina les soldats avec sa queue.

Vdr-26 Texte

Shani et les Vadar sont de grands ennemis. Dans un village où il y a Shani il n'y a point de Vadar. Nous sommes, nous, des Suryavamshi, des descendants du Soleil. Une fois, Shani créa des ennuis au Soleil. Aussi, notre grand héros (mahabali) Hanuman, attrappa Shani avec sa queue, l'assomma au sol et le balança très loin. Shani est de caste Brahman. Hanuman est Vadar. Leur antagonisme est de toujours.

Ces mythes<34> semblent composer dans l'univers mental des Vadar comme une symphonie de figures fuguées qui s'enchevêtrent pour se corroborer. Le thème kshatriya de lignée solaire s'allie à celui de Hanuman héros Vadar mû par la volonté de disputer aux dieux la domination sur terre et de la leur prendre après se les être assujettis. Vdr-24 le réalise définitivement sous la figure de l'âne, l'alter-ego du Vadar et l'avatar d'Hanuman, à qui le cheval royal descendu du ciel confère l'empire sur le monde.

Quand cette domination sur terre conduit le narrateur à identifier l'âne comme une forme de dieu, c'est donc, d'une part, en référence à cette volonté de pouvoir impérial qu'il faut la comprendre; les Vadar s'identifient trop comme kshatriya pour qu'on oublie ici tout ce qu'on en a dit. Le récit n'est pas une théogonie. Il vise à dire la substance de l'identité Vadar.

D'autre part, l'identification de l'âne chevauchant le cheval céleste comme forme de dieu, est à comprendre comme la réponse définitive à ce que cherchaient les 'récits d'invention' : fonder l'identité -- l'existence autonome -- de la communauté de façon sûre et singulière en l'identifiant à un dieu qui soit pleinement le sien. Vdr-24 répond à la même quête d'identité mais bien différemment : en 'découvrant' un dieu qui n'est plus une idole trouvée en terre, la murti étrangère d'un dieu autre que soi. Le récit 'invente' c'est-à-dire 'découvre' que son dieu n'est autre que la communauté même qu'il a élevée, par investiture céleste, mais sur le fondement de sa propre compétence de bâtisseur du monde, à un état de puissance absolue. La communauté se définit et s'identifie comme dieu dans un rêve dont la forme se pétrit dans la figure de l'âne, son alter-ego. Elle n'a plus à chercher de fondement en dehors d'elle-même ni à s'identifier en recourant à une forme de dieu extérieure à soi. Elle s'identifie et se fonde d'un même mouvement par un acte de foi dans sa propre valeur comme Vadar, travailleur de la pierre, transfiguré en forme de dieu. Nul besoin désormais de s'autoriser de la figure d'un dieu trouvé dans la terre que l'on creuse ou de la murti de pierre que l'on sculpte, pour légitimer le droit à une existence pour soi et la reconnaissance légitime d'un statut d'excellence.

La portée sociale, pratique, de cette construction identitaire de la figure de l'âne non plus comme murti mais comme "apparence", "forme" rupa de dieu est immense. Dans cette forme, la communauté des Vadar -- et peut-être aussi chacune de ces douze castes qui se reconnaissent de la parenté de l'âne, gadav gota -- est appelée à reconnaître sa dignité, son excellence au titre de ce qu'elle est en soi dans sa vie quotidienne, sans l'attendre d'ailleurs ni d'une autre instance d'autorité. Le discours est apodictique en ce sens que son acceptation est un acte de foi qui est à lui-même son propre fondement en même temps que l'affirmation de la vérité de son énoncé. La construction narrative de soi est par nature un acte de foi identitaire. Le récit est sui-référentiel. Le discours est auto-fondateur. L'un et l'autre s'autorisent eux-mêmes.

Vdr-24, credo identitaire, reste une stratégie discursive. Il inverse radicalement les systèmes de valeur de référence et les ordres d'autorité qui les définissent, mais il reste un acte de foi pure, et qui plus est, des seuls Vadar. On ne voit pas ceux-ci transcender l'ordre discursif pour en inscrire les valeurs dans l'histoire événementielle. Le serviteur n'a reconstruit son identité que dans l'imaginaire. Le gain n'est point insignifiant, théoriquement et pratiquement, mais n'appartient qu'à l'ordre de la construction narrative, qui est pourtant bien aussi celui du désir.


Notes

<1> Le présent essai est épistémologiquement analogue, au plan de formes cognitives mythiques, à l'étude de la réappropriation de la figure de Sita dans la tradition féminine des chants de la meule, cf. "L'Appropriation de la figure de Sita dans les chants des paysannes du Maharashtra," in Françoise Mallison (1998): et "Sita's Exile" in Center for Cooperative Research in Social Sciences (CCRSS) : <http://iias.leidenuniv.nl/host/ccrss>. Il s'agit dans les deux cas de traditions orales qui jouissent d'un dernier sursis d'existence avant de disparaitre définitivement avec la génération présente d'adultes et d'anciens, leurs derniers locuteurs.

<2> Nous traduisons par mythe le terme marathi d'origine sanskrite dantakhata dont le sémantisme souffre des mêmes a priori que le mot mythe, muthos opposé à logos (Vernant 1988: 195-217, 1990: 10-11). Dantakhata est défini : "A popular story; an inauthentic tradition; a legend," (Molesworth, 1831-1986: 400). Il correspond à "lokkatha, a popular narrative; an imaginary kalpanik story goshtha, a story deprived of scientific standard shastrapramanvirahit, or circulated by word of mouth (Date-Karve, 1935-1988: 1609). Le mot est composé de danta: Tooth; an elephant's tusk; the peak of a mountain; a projecting portion on the side, a knee (Molesworth, 1986: 400), et katha : "A feigned story; a tale, fable, apologue. 2 A legend of the exploits of some god related with music and singing, and with embellishing marvels invented at the moment; --forming a public entertainment. 3 Used in the sense of importance, weight, significance... 4 Speech, saying, telling." (Molesworth, 1986: 132). La racine verbale sanskrite kath signifie : "to converse with any one, to tell, relate, narrate, report, inform, speak about, declare, explain, describe; to announce, show, exhibit, bespeak, betoken; to order, command; to suppose, state," (Monier-Williams, 1899: 247). The substantif sanskrit katha reçoit toutes les connotations correspondantes : "conversation, speech, talking together, talk, story, tale, fable, story-telling, disputation, fiction, feigned story, narrative, discourse, relation, narration." Il s'avère donc le parfait homologue de muthos qui ressortit aussi originairement à l'acte de legein, parler, dire, articuler (Vernant, 1988 : 196).

<3> Les Vadar forment un ensemble de trois communautés endogames, chacune se distinguant par la spécificité de la tâche dans laquelle elle s'est spécialisée et excelle : les Mati-Vadar : extraire et débiter la pierre, les Gadi-Vadar : la tailler et la transporter en charrettes à main, les Patharvat : tailler des pierres à broyer et des meules à moudre pour l'usage desmaîtresses de maison. Les familles et communautés Vadar du Maharashtra sont originaires de l'Andhra Pradesh et du Karnataka, d'où elles ont migré à la recherche de travail. Si on trouve de fortes communautés Vadar dans ces deux Etats, on les rencontre au Maharashtra sous forme de familles ou de groupes disséminée çà et là. Pour survivre les Vadar ont dû souvent aujourd'hui s'embaucher comme ouvrier agricole ou s'adonner à toutes autres tâches manuelles, à moins qu'ils ne réussissent à acquérir de la terre et se faire paysans, ou mettre à profit en ville, avec l'a: ccès à l'instruction, de nouvelles chances de mobilité et d'ascension sociales. Sur leur condition au dix-neuvième siècle selon le Gazetteer de Kolhapur de 1890, cf. Guy Poitevin (1997, 291-294).

<4> Il s'agit des programmes d'auto-formation "coopérative" organisés par la Village Community Development Association (VCDA) et le CCRSS, dont les perspectives théoriques et les méthodes pédagogiques d'initiation à la pratique d'action sociale ont été présentés par Pierre Lachaier et Jean Pacquement (1996: 336-346).

<5> Cf. "Grassroot socio-cultural action and development" in CCRSS : <http://www.ccrss.org>.

<6> "Experimenting with cooperative research" prend acte réflexivement de ce regard dans le même site web du CCRSS : <http://www.ccrss.org>.

<7> Cf. "Experimenting with cooperative research" in CCRSS : <http://www.ccrss.org>.

<8> Citons deux types d'example parmi d'autres : l'utilisation des formes et du contenu du Kattaikkuttu au Tamil-Nadu : Hanne de Bruin (1994, 1998a: 2:98-130; 1998b: 1:12-38, 1999) et la valorisation des chants de la meule, "Grindmill songs and animation" et "A performance capacity reactivated", in CCRSS: <http://www.ccrss.org>.

<9> L'écart infime au départ mais aujourd'hui faille béante à force de se creuser et de se renforcer au fil de l'écoulement des générations, entre le dire de la parole originaire et le dit du discours qui nous parvient en récit matériellement inscrit et fixé dans un texte oral quasi fossilisé, lui donne pour nous la facture d'une extériorisation codée à déchiffrer. Mais les médiations explicatives, telles que les procédures d'analyse structurale, ne sont pas seulement nécessaires pour nous permettre d'accéder utilement au sens des récits; leurs contraintes nous ouvrent et nous garantissent aussi l'accès au-delà du déchiffrement des codes symboliques en eux-mêmes, à une compréhension, pour nous, des discours originaux. Il n'est pas d'explication qui ne s'achève par la compréhension (Ricoeur, 1986: 166).

<10> On ne peut en effet identifier texte et écriture : la distanciation de la parole et de l'écriture appartient déjà au discours oral en tant que tel, et c'est "dans le discours même qu'il faut chercher la racine de toutes les dialectiques ultérieures..., l'effectuation du langage dans les oeuvres de discours constitue la condition la plus proche de l'inscription du discours dans l'écriture." (Ricoeur, 1986: 102). On se gardera donc d'opposer naïvement une culture de l'écrit à une culture de l'oral, cette dernière, pour ne point connaître le graphisme, n'en connait pas moins la lettre qui fixe les paroles du discours en oeuvres, nous dirons en texte qui "est le paradigme de la distanciation dans la communication; à ce titre, il révèle un caractère fondamental de l'historicité même de l'expérience humaine, à savoir qu'elle est une communication dans et par la distance." (Ibid.) C'est tout le propos du présent essai de le montrer sur le thême de l'identité Vadar.

<11> C'est ainsi que lorsque le narrateur d'aujourd'hui peut nous dire l'intention de son récit, il s'avère souvent que la visée qu'il lui attribue est en réalité son interprétation soit en fonction de sa relecture privée ou critique du passé, soit de ce qu'il perçoit comme étant le besoin ou l'attente de ses auditeurs, soit en fonction d'une correspondance immédiate entre un élément particulier du récit et des circonstances du contexte actuel.

<12> Nous reprenons la distinction faite par Frege et Ricoeur entre le sens comme l'objet idéel d'une proposition purement immanent au récit du discours, et la référence comme valeur de vérité de la proposition en ce qu'elle prétend atteindre et dire le réel dont elle parle dans un contexte déterminé. Un discours n'est pleinement signifiant que par rapport aux réalités du milieu circonstanciel auxquelles il se référe, réalité montrée par les démonstratifs, les adverbes de temps et de lieu, les pronoms personnels, les temps du verbe, les gestes du locuteur, en un mot tous les indicateurs déictiques ou ostensifs qui montrent la réalité autour des locuteurs (Ricpur, 1986: 140). Corrélativement, on appellera sens, la structure, l'arrangement des éléments du texte, sa dimension sémiologique, et signification, la dimension sémantique effectuée dans le discours.

<13> En ce sens, le texte du mythe est bien loin de sombrer dans le quasi-monde d'un texte de mots n'existant plus que pour eux-mêmes, à l'instar de ce que serait une littérature où le monde référentiel s'effacerait pour laisser place au seul jeu du signifiant. Le discours mythique ne ressortit en rien à la littérature; il en est le contraire.

<14> Le récit Vdr-10 (référence à la classification du mythe dans le corpus du CCCRSS, Pune).fut recueilli le 12 décembre 1996 de Sukhadev Ram Dhotre, 55 ans, un Gadi-Vadar résidant à Tembhurni, (tal. Indapur, Pune district, Maharashtra) par Datta Shinde, enseignant de l'école secondaire Karmavir Mahavidyalaya, Redni, (tal. Indapur).

<15> Selon le postulat de la clôture du récit "le sens du récit est dans l'arrangement même des éléments; le sens consiste dans le pouvoir du tout d'intégrer des sous-unités; inversement, le sens d'un élément est sa capacité à entrer en relation avec d'autres éléments et avec le tout de l'oeuvre... La tâche de l'analyse structurale consistera alors à procéder à la segmentation (aspect horizontal), puis à établir les divers niveaux d'intégration des parties dans le tout (aspect hiérarchique)... La logique de l'action consiste dans un enchaînement de noyaux d'action qui tous ensemble constituent la continuité structural du récit...Expliquer un récit, c'est saisir cet enchevêtrement, cette structure fuguée des procès d'actions emboitées."(Ricoeur, 1986: 150).

<16> Iksvaku, petit-fils de Surya, le Soleil, fonda la "lignée solaire" qui est celle des kshatriya à laquelle Ram appartient.

<17> Le récit Vdr-41 fut recueilli par Datta Shinde le 9 mai 1998, à Gadave Naka (ville de Bidar, Karnataka) d'un homme de 40 ans, Kaluram Gatkul, de la communauté Dev-Vadar, familles de bardes Vadar qui circulent dans les communautés Vadar pour y maintenir vivant l'héritage des traditions.

<18> Cette pièce de théâtre de rue fut présentée pour la première fois le 5 janvier 1998 aux participants d'un séminaire "Popular Cultures and Cultural Action" organisé par le CCRSS à Pune (Maharashtra) Inde, pour lesquels elle fut créée à titre expérimental, comme exemple de problèmes que peut poser une tentative de réappropriation culturelle dans un contexte et à des fins différents du contexte original.

<19> Nous ne considérons pas ici sinon indirectement car ils en sont indissocialbles, les procès d'articulation de l'identité spécifiquement sociale en termes de rôles, de droits, de pratiques rituelles, etc.

<20> Le récit Vdr-33 fut recueilli par Datta Shinde le 22 octobre 1997, de Dulgappa Pujari, à Gangvadi, tal. Belgao (Belgao, Karnataka).

<21> Plusieurs autrers récits du même corpus s'en préoccupent explicitement sur la base d'un conflit institué entre Maruti et d'autres dieux, Vdr-02, 17, 18, 26. Nous n'en traitons pas ici, où nous considérons essentiellement le mode de construction et de légitimation de la représentation de soi plus que les fondements des rapports sociaux differentiels ou discriminatoires entre communautés comme telles.

<22> Le récit Vdr-14 fut recueilli par Datta Shinde le 2 mai 1996, de Sandipan Somnath Bhosle, à Sonari, tal. Paranda (dist. Usmanabad).

<23> Le récit Vdr-22 fut recueilli par Datta Shinde le 14 novembre 1996, de Suryabhan Bala Chavhan à Jamkhed, tal. Jamkhed, (Ahmednagar). Le narrateur de nos jours se loue en particulier comme terrassier pour creuser des puits; il peut travailler toute la journée en plein soleil, mais ne trouve pas d'embauche régulière.

<24> On aura une idée de l'importance de ce thème si l'on sait qu'en plus des récits cités et commentés, neuf autres mettent encore en scène des rois, leurs ennemis et leurs guerres : Vdr-03, 13, 16, 31, 35, 36, 39, 42.

<25> Le récit Vdr-34 fut recueilli par Datta Shinde le 26 octobre 1997, de Timmana Caugula, Shankeshwar, tal. Cikodi (Belgao, Karnataka).

<26> Il s'agit du récit Vdr-09. cité plus loin, quand le même mythème est repris pour un usage argumentatif à d'autres fins encore : expliquer et justifier l'interdiction pour les femmes Vadar de porter un corsage.

<27> Le récit Vdr-11 fut recueilli par Datta Shinde le 15 mai 1996, de Ramchandra Shetti kale, à Medad, tal. Malshiras, (Solapur).

<28> Cf. Vdr-02, Vdr-18 et Vdr-26

<29> Le récit Vdr-28 fut recueilli par Datta Shinde le 5 mai 1997, de Keraba Derage, à Vadshinge, tal. Madha (Solapur).

<30> Le récit Vdr-24 fut recueilli par Datta Shinde le 26 janvier 1996, de Namdev Baburao Ghungare à Loni, tal. Shrirampur (Ahmednagar).

<31> Un sémantème comparable se présente en Vdr-16 dans un contexte discursif différent : pour consoler la princesse, son enfant unique et chéri, qui ne peut se consoler de la mort de sa grand-mère, le roi lui façonne un fakir avec barbe et moustache dans une motte de pâte à modeler. La princesse joue avec lui, grandit avec lui, nage et dort avec lui. Plus tard, enceinte d'un Gosavi sans en avoir conscience, la princesse met au monde trois mottes de terre. "Depuis ce temps, dans notre communauté (de Mati-Vadar, Vadar terrassier) nous vénérons la terre. La terre est notre fille. C'est ainsi que nous l'entendons. Nous avons la terre dans notre lignée." On notera qu'ici également une valeur d'identification essentielle est donnée aux liens d'alliance et de parenté entre princesse et Vadar, à la faveur d'une autre figure symbolique, celle de la terre comme alter-ego du Vadar.

<32> Cf.Vdr-01, Vdr-07, Vdr-09, Vdr-21, Vdr-23, Vdr-33.

<33> Cf. Vdr-08, Vdr-33

<34> Vdr-02 fut recueilli par Jayraj Rajput le 5 octobre 1992 de deux anciens de la communauté Vadar de Khed Shivapur, tal. Haveli (Pune); Vdr-18 et Vdr-26 furent recueillis par Datta Shinde de Gondappa Dyappa Chavan, à Tambevadi (Solapur), et de Shetiba Jadhav, à Barsi, dist. Solapur, respectivement.