Réunion avec les animateurs de VCDA, le 18 janvier
2005
Compte-rendu de Joseph et Chantal Louapre
C'est l'avant-dernière journée de notre séjour à
Pune ; une rencontre est prévue avec quelques animateurs, Hema Rairkar,
Bernard Bel, Jean-Marie Poitevin, Annick Nouchet, Matthieu Faneau, et nous-mêmes.
L'objet de cette rencontre est de faire le point sur la situation de
l'association et sur les perspectives d'avenir en accord avec les participants.
Huit animateurs sont présents. A tour de rôle ils se présentent
en précisant le village d'où ils sont originaires, la date de leur
engagement dans VCDA, les actions qu'ils ont menées ainsi que celles qui
restent à réaliser.
Quelques traits marquants qui ressortent de ce tour de table :
- on perçoit une grande motivation pour leur engagement ainsi
qu'une grande capacité à exprimer simplement et clairement leurs
actions et les objectifs poursuivis ;
- plusieurs ont souligné l'importance de la formation qu'ils
ont reçue par VCDA et le tournant que celle-ci a constituée dans
leur parcours personnel ;
- cette formation leur a permis de se libérer vis à
vis des pressions locales, parentales ou sociales dont ils étaient
auparavant dépendants ;
- cette formation n'a pas constitué dans un simple apport de savoir
ou de méthode pour agir mais elle a entraîné un changement
au niveau de l'être, du savoir être ; ce fut réellement une
étape décisive et personnelle pour sortir de la sujétion ;
- cette formation leur a permis de s'engager ensuite dans l'action y
compris dans l'action politique pour certains ;
- leurs engagements prennent des formes diverses et variées
en fonction des problèmes qu'ils ont rencontrés dans leurs
villages : émancipation et promotion des femmes, éducation et
scolarisation des enfants, actions avec les jeunes, reconnaissance des droits
des basses castes par l'obtention de certificats de « basse caste »,
problèmes d'emploi à plusieurs reprises, développement
d'ateliers de théâtre de rue comme outil d'expression et de
sensibilisation populaire, problèmes d'accès à l'eau
potable, migration et déplacement de populations suite à la
construction de barrages, défense du droit de propriété de
la terre, actions diverses en justice...
- un attachement profond à la démocratie active : ils
se veulent citoyens, sans objectifs autres que l'amélioration des
conditions de la vie des gens dans les villages. Ils tiennent tous à
rester dans leurs villages sans changer de statut. Ils veulent à tout
prix résister à d'éventuelles sollicitations ou
manipulations venant de certaines ONG qui voudraient bien profiter de leur expérience
et de leur savoir-faire.
NOTA : je rapproche ces remarques de 2 idées développées
par Desmond A. d'Abréo dans Foi et développement (Centre Lebret de
décembre 2003) :
« Le principe fondamental du développement est que les décisions
en vue d'identifier et d'éliminer les problèmes qui défient
les pauvres du tiers- monde, sont à prendre par les pauvres eux-mêmes...
« Le développement vise l'accroissement des capacités
humaines afin de garantir aux gens la liberté de faire ce qu'ils considèrent
comme ayant le plus de valeur. C'est la vie des gens, dans ce qu'elle est
fondamentalement, qui est important et non les objets qu'on peut acquérir
pour un plus grand confort. »
L'après-midi, Hema Rairkar et Bernard Bel exposent les réflexions
et les orientations qu'ils nous ont présentées la veille quant à
la problématique actuelle de l'association et les orientations à
prendre pour l'avenir :
- le départ de Guy ne doit pas remettre en cause la démarche
propre à VCDA et partagée dans les S.E.W. (Self education workshop
ou atelier d'auto-éducation). Au contraire, l'autonomie du réseau
et l'originalité du mouvement doivent être absolument préservées
;
- l'engagement financier de Terre des Hommes et de Pharmaciens sans frontières
n'est pas totalement garanti. Ce n'est pas une raison pour se placer sous
leur dépendance en appliquant strictement leur programme de
distribution de médicaments. Les animateurs n'ont pas pris la peine de
suivre toute la formation des S.E.W. pour réaliser de simples actions de
ce genre. Ils valent et doivent faire plus que cela, même si ces actions
sont facilement quantifiables et leur donneraient accès à une
certaine position de supériorité.
De manière unanime, les animateurs approuvent ces orientations en
rappelant que, le 12 septembre 2004, quelques jours après la mort de Guy,
ils se sont réunis de leur propre chef et ont décidé de
poursuivre dans cette voie engagée par VCDA, les SEW et la démocratie
active.
Quelques remarques « bien senties » sont faites à propos de
ceux qui leur demandent des comptes : « Ils ne sont même pas capables
de nous suivre dans les villages et de marcher pieds-nus en supportant le soleil
et la chaleur !... Si j'ai mal aux jambes, c'est parce que j'ai parcouru la
montagne. Alors, qu'ils en fassent autant !... Ils nous demandent des comptes,
mais qu'ils nous présentent d'abord les leurs !... »
Ces échanges sont très importants :
- pour Hema qui peut rappeler l'essentiel du mouvement initié et mis
en oeuvre par Guy même si ces derniers temps les difficultés
rencontrées avec les financeurs l'avaient beaucoup fatigué. Notre
présence aujourd'hui et les paroles des animateurs la confortent pour
l'avenir.
- pour les animateurs qui ont ainsi l'occasion d'affirmer ensemble et devant
Hema, Bernard et nous-mêmes leur détermination à poursuivre
dans la voie engagée.
- pour nous enfin, qui sommes témoins des qualités humaines et
de l'autonomie de ces animateurs.
En conclusion de cette réunion :
- Notre présence, en particulier celle de Jean-Marie et d'Annick à
l'inauguration du centre VCDA ainsi que dans les villages, les échanges
simples et amicaux que nous avons pu avoir ont été pour les
animateurs une occasion de joie, un encouragement dans les orientations qu'ils
se sont fixées.
- Quand Guy est mort, des gens leur ont dit : « Vous allez voir, tout
va s'arrêter !... Mais non, ont-ils répondu ; chez nous il n'y a
pas de chef ni de leader, nous sommes tous responsables ! Alors pourquoi
voudriez-vous que cela s'arrête ? »
- Guy nous a appris que nos groupes, nos actions de démocratie active
ne devaient pas avoir de leader pour ne pas dépendre de leur présence
! Çà, c'est le message de Guy !
- Guy avait une pensée : « Si je suis libre, pourquoi les
autres ne le seraient-ils pas aussi ? C'est cela le combat à mener
ensemble contre l'inégalité ».
Tout a été dit ! On ressort un peu épuisé de
cette réunion, non pas à cause du temps qu'elle a duré ni à
cause de la position assise par terre (mais, c'est vrai, ils résistent
mieux que nous !). Non, on est épuisé par la force de leurs
convictions, la ferme tranquillité de leur engagement. Peut-être même
se sont-ils étonnés de nos questions sur l'avenir de VCDA ?
Bien avant le départ de Guy, ils avaient déjà pris
leur autonomie qu'ils ont maintenant l'occasion d'affirmer publiquement.
L'avenir est assuré, les graines ont levé, elles ont germé
et se sont multipliées.
A Cossé le Vivien, le 23 janvier 2005